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"Les Nègres" par Robert Wilson
À l'Odéon, Bob Wilson colorie « Les Nègres »
Il y a neuf décennies, Josephine Baker créa la « Revue nègre ». Aujourd'hui Bob Wilson s'offre la sienne, en prenant appui sur Les Nègres de Jean Genet. À l’Odéon, le show est total, les costumes étincelants, le décor devient symbole de puissance culturelle, les néons sont omniprésents.
Mais Genet, avait-il écrit une revue ? N'était-ce pas plutôt une cérémonie clandestine, incarnant la projection des bas instincts des blancs et de leurs peurs, sur des noirs fantasmés ? Wilson la pose sur un plateau de gala. Les costumes en papier sont d'une puissance sculpturale remarquable, mais l’Afrique et le vaudou de plates citations sans âme. Revue et théâtre baroque se mélangent, les acteurs déclamant leur texte face public, avec une gestuelle mécanique, les guirlandes reprenant parfaitement les bougies éclairant le plateau au temps de Racine.
Selon Genet, la pièce est une « clownerie ». « Pour moi, tout théâtre est danse », répond Wilson. Le journal de l’Odéon met en exergue cette citation du metteur en scène texan, illustrant parfaitement son approche du mouvement. C'est justement la raison pour laquelle Wilson, qui avait magistralement mis en scène Mikhaïl Baryshnikov dans The Old Woman ne sollicite pas, pour Les Nègres, d’autres grands de la danse. Pourtant il y en aurait, et qui sont de grands acteurs, comme Koffi Koko, Kettly Noël ou Germaine Acogny... Le lien avec la danse est ici beaucoup plus prosaïque. On danse, mais en stylisant les déhanchements comme dans un exercice militaire.
La démarche de Wilson face au corps est une colonisation pure et simple, par une esthétique imposée qui confine au théâtre d'objets. Pour déjouer cette emprise, il lui faut la confrontation avec des bêtes de scène, avec des singularités irréductibles comme l'étaient Baryshnikov et Dafoe dans The Old Woman ou Isabelle Huppert dans Quartett. Il faut qu’il les reconnaisse comme ses pairs pour laisser respirer une pièce à travers leurs gestuelles. Bref, le contraire de ces Nègres.
Au premier abord, l’idée de Luc Bondy de confier cette mise en scène à Wilson n’est pas dénuée d’intérêt. Le théâtre de Genet est un terrain vague qui pourrait convenir parfaitement à la star américaine, qui n'a de cesse de déclarer que « si tu sais à quoi tu as affaire dans une pièce, il est inutile de la monter », que « seule compte l'énigme ». La danse, effectivement, pourrait accueillir ce mystère et le sonder. Mais Wilson quitte cette danse intérieure qui peut rendre son univers vivant. Il la quitte au profit d’une animation, certes brillante mais inopérante face à Genet. À l'Odéon il tente justement de nous expliquer de quoi il s’agit, à savoir d’une soirée de cabaret, quelque part entre le Lido et un club à Dakar ou à Lagos.
Sans doute Wilson n'a-t-il jamais été aussi proche de Genet qu'en créant Le regard du sourd et jamais aussi loin de lui qu'en stylisant Les Nègres. Le meilleur tableau est le premier, sans paroles, où les noirs sont fusillés l'un après l'autre devant la façade d'une maison en torchis. Mais elle peut aussi bien représenter un hôtel de luxe ou un gratte-ciel. Le ralenti, poussé à l'extrême, crée une extension du temps qui fait mourir le présent. Ici, ce prologue est comme une pièce à part, magnifique mais déconnecté de la cérémonie qui suit. Comme la pièce entière, ils meurent en beauté.
Thomas Hahn
Du 3 octobre au 21 novembre 2014
Théâtre de l'Odéon dans le cadre du Festival d'Automne à Paris.
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