-
-
Thomas Lebrun © Frédéric IOVINO
Thomas Lebrun, après avoir créé Lied Ballet au Festival d'Avignon 2014 et avant sa programmation à la Maison de la danse en octobre prochain, se lance dans une pièce jeune public diffusée au Théâtre de Saint-Étienne et à la Biennale de la danse de Lyon. Nous en avons profité pour le rencontrer.
Danser Canal Historique : Après La Jeune fille et la Morte créée en 2012, vous revenez, avec Lied Ballet, sur le même type de dispositif, avec cette fois un pianiste et chanteur, pourquoi cette forme du lied vous intéresse-t-elle ?
Thomas Lebrun : Disons que pour La Jeune fille et la Mort c'est plutôt le travail sur Schubert qui avait été le déclencheur. Et là, c’est plutôt la forme du lied qui m’intéressait. Je pense que ce tropisme vient de ma jeunesse. J’avais étudié la danse expressionniste avec Jacqueline Robinson et elle organisait des stages autour de la musique allemande. Du coup, j’ai eu l’idée de m’atteler à la forme du ballet, car à ma connaissance, personne n’avait établi ce rapport entre lied et ballet alors qu’ils sont tous deux ancrés dans l’époque romantique. Mais, alors que le lied est devenu une musique de plus en plus savante, sous l’impulsion de compositeurs comme Berg ou Schoenberg, le ballet a choisi une veine plus « populaire ».
DCH : Vous avez choisi une structure en trois actes pour Lied Ballet, qu'est-ce qui a motivé ce découpage ?
Thomas Lebrun : On connaît maintenant mon goût pour l'écriture et la dramaturgie. Avec Lied Ballet, j’avais envie d’écrire sur la structure et l’interprétation en choisissant, dans chaque rôle, un parti pris singulier.
Le premier acte est une danse narrative, sur une musique de Giacinto Scelsi. Elle s’accorde et presque se « discorde » ce qui imprimait à cet acte une tessiture dramatique. Cette ouverture, a quelque chose du tableau vivant, avec ces costumes noirs et chics. Cela m’a poussé à utiliser ces photos de l’époque victorienne, à chercher du côté d’une pantomime qui rappelle l’époque romantique avec ses noirceurs et ses spectres qui nourriront plus tard l’expressionnisme. Ce côté « sturm und drang » (« Tempête et passion » en français), mais retenu par l’intériorité de l’interprète.
Le second acte est une sorte de jeu et de variations. Il y a une construction très minutieuse de la partition des huit danseurs qui, d’une certaine façon, joue comme contrepoint du travail piano voix porté par le ténor Benjamin Alunni accompagné par le pianiste Thomas Besnard sur des lied de Berg, Mahler et Schoenberg. C’est là que se situe pour moi la matière première chorégraphique, avec ces variations en pas de deux, pas de trois, qui interviennent comme des points de couture, tissant des chemins, traçant des espaces. Les interprètes ont aussi des lignes singulières, qui offrent un nouveau point de vue sur ce que peut être une virtuosité pas forcément démonstrative.
Enfin le troisième acte est une sorte de « chorus ». Écrit sur une composition musicale de David François Moreau, il met en valeur une sorte de Corps de ballet à la physicalité très différente suivant les individus. Du coup, il donne un aperçu presque social à l’ensemble. En même temps il est très proche de la danse minimaliste américaine à la Lucinda Childs, ou à Andy DeGroat. C’est une sorte de balayage de ce que pourrait être un ballet d’aujourd’hui. Il y a des touches de danse classique mais un élan qui va vers l’avant. J’ai aussi pensé à l’enseignement de Susan Buirge, par exemple.
-
-
LIED BALLET de Thomas Lebrun @ Laurent Philippe
DCH : En somme vous balayez une sorte d'histoire de la danse qui s'inscrit au cœur même de votre chorégraphie...
Thomas Lebrun : J'avais envie de mettre au jour ce qui constitue la matière même de la danse d'aujourd'hui, avec cette histoire qui s'inscrit dans les corps et dans les mémoires, parfois à leur insu. Je pense que la plupart d'entre nous sont traversés par ces gestuelles qui s'accumulent et forgent notre vocabulaire actuel. C’est assez osé dans l’écriture de la danse parce que ça refuse de s’inscrire dans un mouvement, ou une époque précise. Il y a toutes sortes de références, conscientes ou inconscientes, portées par une équipe formidable dans leurs mouvements et leur intensité. Je pense à Léa Scher ou Maxime Carno qui viennent juste de sortir de l’école et sont capables d’avoir cette fougue, cette envie et même cette boulimie pour traverser un pan de l’histoire de la danse. Il y a aussi Matthieu Patarozzi qui distille sa présence particulière, et puis mon équipe de danseurs qui travaillent avec moi depuis longtemps et qui sont assez exceptionnels.
-
-
"Tel Quel ! " @ Frederic Iovino
DCH : Pouvez-vous nous parler de la pièce jeune public ?
Thomas Lebrun : La pièce jeune public joue de même sur la singularité des danseurs et de leurs parcours. Tel Quel ! est donc un quatuor qui se veut une sorte d’ode à la différence, à l’acceptation de soi. Comme Lied Ballet, c’est une pièce sur l’écriture, sans narration. C’était important pour moi, car je parle dans cette pièce de mixité, d’universalité, et de la possibilité pour tous de faire ce que l’on a envie. C’est, bien sûr, quelque chose que j’ai traversé dans mon parcours avec la danse, et la pièce est axée sur la diversité des physiques, sur l’apparence. Les quatre danseurs sont issus d’horizons différents Matthieu avec sa taille inouïe, Julie Bougard, qui a traversé la danse belge de la grande époque et qui a un côté burlesque, Véronique Teindas musclée et ronde qui a travaillé chez Maguy Marin et Kader Attou et s’impose sans problème sur un plateau et enfin Yohann Tété qui a beaucoup travaillé dans la comédie musicale. Ce sont des palettes de couleurs de danse, qui amènent une notion de loufoque, de saugrenu, qui parle aux jeunes et aux moins jeunes – en tout cas je l’espère. Il y a une dimension d’éducation sous-jacente. C’est une sorte de danse de situation et les danseurs sont très engagés. Sans eux, je n’aurais pas pu l’inventer. D’une certaine façon, la pièce m’échappe un peu et j’adore ça. Du coup, l’auteur paraît moins important que le plateau, ça joue entièrement sur le moment présent !
-
-
"Tel Quel ! " @ Frederic Iovino
DCH : Vous êtes depuis trois ans à la tête du Centre chorégraphique national de Tours, quel regard portez-vous aujourd'hui sur cette institution ?
Thomas Lebrun : Je suis très heureux d’avoir un CCN et d’être à Tours. La première année a été très éprouvante. Mais au bout de la troisième année, je constate qu’un public s’est construit. Diriger un CCN est un travail à part entière de directeur chargé d'un lieu. Ce qui induit, fatalement, un enjeu politique. À Tours, le site même du CCN est contraignant et nous travaillons pour que ça devienne un vrai « centre ». J’avais vraiment envie d’être là. Je me considère davantage comme un ouvrier de la danse que comme un chorégraphe à la mode. Et Tours est un « petit » CCN, moins doté que d'autres, j’y ai collaboré avec Daniel larrieu et je sais ce qu’il a apporté ici. De ce fait, je m'y sens à ma juste place. C’est une ville où il y a beaucoup à faire et je sais pourquoi je l’ai choisi. On peut se permettre un projet sur la diversité de l’art chorégraphique. L’équipe est formidable, nous avons une activité énorme, notamment en matière de programmation – dans le cadre de l’accueil studio, mais pas seulement. Pour l’anecdote, j’invite Bernardo Montet (le précédent directeur du CCN de Tours, NDLR) l’année prochaine pour qu’il puise revenir avec sérénité. Et avec les scènes du territoire, nous organisons de très nombreux rendez-vous avec le public. Au CCN, ça travaille du lundi au dimanche et nous rêvons d’un deuxième studio. Un CCN est un lieu de danse en Région, de ce fait il doit montrer la diversité de la danse, être dans l’ouverture. Je travaille pour la danse. Pas pour moi. J’aime me sentir porteur d’idées pour les autres, il faut mélanger les pensées, les artistes, les classes sociales. Il faut défendre l’idée que la culture chorégraphique peut apporter de la valeur ajoutée.
DCH : Quels sont vos prochains projets ?
Thomas Lebrun : Je prépare une pièce en deux mouvements pour 14 danseurs qui s'appellera Avant toutes disparitions. Une pièce sur le groupe, considéré comme une sorte de peuple ou de communauté, aux prises avec leur conviction, l’instinct de survie mais aussi la disparition… Dans le deuxième mouvement, je danserai avec Odile Azagury, Daniel Larrieu et Anne-Sophie Lancelin…
Propos recueillis par Agnès Izrine
Tel Quel ! 30 septembre et 1er octobre séances scolaires.
Lied Ballet en tournée :
7 et 8 octobre 2014 - Maison de la danse de Lyon
24 et 25 octobre 2014 - Grand Théâtre, Tours
21 et 22 janvier 2015 - Maison de la culture de Bourges, scène nationale
24 février 2015 - Les Quinconces-L’espal, scène conventionnée, théâtres du Mans
18 mars 2015 - La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale
26 et 27 mars 2015 - Scène nationale de Besançon
du 1er au 4 avril 2015 - Théâtre National Chaillot, Paris
21 et 22 avril 2015 - Le Pavillon Noir, Aix-en-Provence
5 mai 2015 - La Rampe, scène conventionnée, Échirolles
27 mai 2015 - Scène nationale d’Orléans