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Entretien : Yoann Bourgeois
Yoann Bourgeois crée en première mondiale à la Biennale de la danse de Lyon les 20 et 21 septembre prochains Celui qui tombe ou comment garder l'équilibre quand le sol se dérobe sous vos pieds ? Nous lui avons posé la question...
Danser Canal Historique : Vous avez créé un nouveau type de specacle, entre cirque et danse, que certains nomment « cirque existentiel », vous reconnaissez-vous dans ce qualificatif ?
Yoann Bourgeois : En fait ce qui m’intéresse avec le cirque, c’est le rapport aux forces physiques, et comment les hommes sont traversés par ces forces-là. Voilà peut-être pourquoi on m’a accolé ce qualificatif.
DCH : Comment vous, définiriez-vous l’inflexion que vous avez donné au cirque dans vos spectacles ?
Yoann Bourgeois : D’une certaine manière, je me réfère toujours au cirque. Son histoire est une source d’inspiration fondamentale, un outil sur lequel je m’appuie pour penser. Je parle bien du cirque traditionnel, qui comprend de fortes potentialités scéniques, et des particularités très spécifiques. J’ai l’impression que le « Nouveau cirque » s’est un peu perdu en le mélangeant à la danse, au théâtre ou en l’associant à une forme de sport. On trouve presque la même évolution dans le patinage artistique, les figures y sont, mais noyées dans une sorte de spectaculaire un peu abâtardi, comme en témoignent les costumes…
J’ai toujours pensé que dans le cirque, il y a une puissance infinie. Donc je suis à la recherche de ce qu’il porte en lui-même, il faut selon moi retourner en arrière, l’épurer, plutôt que lui rajouter toutes sortes d’éléments dans une sorte de surenchère.
DCH : Qu’est-ce qui fait, selon vous, que la forme scénique que vous proposez est un art du cirque plutôt que de la chorégraphie, par exemple ?
Yoann Bourgeois : Ce qui est intéressant, c’est de déceler justement les différences. L’art du cirque a sa singularité. Pour moi, ce qui est remarquable c’est que l’homme, au cirque, n’est pas au centre de la scène comme il n’est pas au centre du monde. Il doit cohabiter avec des animaux, des machines exraordinaires, des agrès. Quand on commence le jonglage, on se met en rapport avec un objet, une balle ou autre chose, et du coup, le corps excède le sujet, il n’est pas uniquement centré sur lui-même. De ce fait, il apparaît comme plus bouleversant.
DCH : Vous avez créé plusieurs spectacles, L’Art de la fugue, Cavale, et maintenant Celui qui tombe, ne pourrait-on pas avancer que tous vos spectacles sont une variation autour de l’art de la chute ?
Yoann Bourgeois : Dans Celui qui tombe c’est la gravité qui est une source inépuisable de drame. J’ai l’impression de me brancher avec quelque chose de nerveusement fort en moi. Avec ce spectacle, j’espère radicaliser les zones que j’ai pu ouvrir dans les précédents. Dans ce projet, je pars du postulat que toute situation naît d’un rapport de forces.
DCH : Comment le mettrez-vous en scène ?
Yoann Bourgeois : Il y a un grand plateau en bois de 6m2 sur lequel des hommes et des femmes essaieraient de tenir debout. Car on va appliquer à ce sol toutes les contraintes physiques imaginables, la force centrifuge, la force de gravité, etc. le point d’équilibre étant restreint à quelques millimètres. Donc tout est réduit à son état le plus simple pour rendre visible ces forces à l’œuvre. Les mécanismes appliqués à ce grand plateau demandent de la part des interprètes de s’adapter sans cesse pour tenir malgré tout, de manière singulière ou collective. Cet aspect très concret génère une forme de fiction. Voilà le point de départ de la pièce.
Ce que j’aime avec ce projet, c’est qu’il est très simple et c’est ça l’éloquence de notre démarche.
DCH : Il paraît que vous mettez quatre ans pour créer une nouvelle pièce. Cela a-t-il été le cas pour celle-ci ?
Yoann Bourgeois : Non, pas du tout. Ce qui me plaît c’est de pouvoir envisager des aventures particulières. J’aime varier les modes. Il m’a fallu un an de conception pour Celui qui tombe. Ce qui est compliqué c’est de rendre simple le plateau, en terme de mécanique, pour que les forces en question soient sensibles et communicables. Je ne voulais pas en passer par un système automatisé, donc il a fallu un gros travail d’ingénieurs pour trouver les bons matériaux, compte-tenu des contraintes de poids… et de l’enveloppe budgétaire. Ensuite les techniciens ont travaillé avec les ingénieurs. En fait, c’est une idée classique dans le cirque, c’est un peu cousin du trapèze, c’est une question d’équilibre et de contrepoids. Je voulais également que l’on puisse avoir une dynamique du rebond, mais j’ai dû abandonner cette idée.
Dans mes précédents spectacles, il y avait un trampoline caché. Du coup, ça ressemble un peu à un procédé de montage chorégraphique. J’ai l’impression que la chute est plus expressive vis-à-vis de la suspension et vice versa. C’est une opposition de forces, encore une fois.
DCH : Pourrait-on dire que vous appliquez au cirque une notion d’écriture, très proche de la chorégraphie ?
Yoann Bourgeois : La question de l’écriture se pose différemment dans le cirque car la notion d’interprétation est de tout autre nature. Si un artiste se blesse ua plateau, le rôle se réinvente totalement car chaque mouvement est indissolublement lié à l’individu qui le produit. La figure va au-delà de ça, mais chaque artiste a son propre bagage de figures, il n’existe pas de corpus commun. Ce qui m’intéresse c’est tout l’inverse. Je cherche au contraire à simplifier les figures afin de dégager un bagage commun et augmenter la lisibilité. Cette figure de la chute n’a pas de valeur dans l’apprentissage. C’est une des figures les plus faibles en terme de complexité. Pourtant, quand je voyais des trapézistes, enfant, ce qui me fascinait le plus, c’était le saut final dans le vide pour terminer le numéro. Je trouvais que c’était plus frappant que la force nerveuse du voltigeur.
DCH : N’est-ce pas vous priver de la notion de risque ou de mouvements périlleux que le cirque suppose et qui, généralement, fait son effet ?
Yoann Bourgeois : Je pense que les actions très simples dégagent plus de polysémie. Sauter, tomber, tenir, induisent plus de possibilités d’empathie. Tout le monde a senti ce que c’était que de tomber en arrière. Alors que le salto arrière, c’est un exploit que seul un petit nombre d’hommes ont pu éprouver.
DCH : Comment avez-vous choisi les artistes qui vous accompagnent ?
Yoann Bourgeois : Il y a six artistes, trois hommes et trois femmes. La proportion du sol dicte l’effectif maximal que peut comporter cette petite humanité. Ils sont issus pour moitié du cirque et pour moitié de la danse mais ils ont tous travaillé dans des domaines variés, pluridisciplinaires. Je les ai choisis pour ce qu’ils savent faire certes, mais je cherche aussi des personnalités avec lesquelles il peut se passer des choses à des niveaux plus profonds, qui peuvent partager un processus au-delà d’une pièce.
DCH : Qu’avez-vous prévu en matière sonore ?
Yoann Bourgeois : Ce qui va faire la sonorisation de la pièce, ce sont les mécanismes eux-mêmes. À chaque fois que l’on applique une force sur ce plateau, il subit une déformation qui ne peut être vue à l’œil nu. Mais les torsions par exemple, impliquent des craquements au bois et à l’acier. Donc le son va traiter ces matérialités là.
DCH : Après avoir vu Umwelt de Maguy Marin en 2005, vous avez immédiatement souhaité travailler avec elle. Qu’est-ce qui a déclenché soudain un tel désir ?
Yoann Bourgeois : J’étudiais à l’époque au Centre national des Arts du cirque (CNAC) et au Centre national de danse contemporaine (CNDC) d’Angers en alternance. Je construisais un numéro où une machine finirait par me manipuler et je voulais déjouer le statut d’acteur pour être seulement opérateur. Je cherchais donc un certain type de présence. Et en voyant Umwelt, je l’ai trouvée ! Et j’ai aussi décelé quelque chose d’invisible. Une communauté entre les interprètes qui allait au-delà du travail. De l’ordre de l’art de vivre ou de la manière d’être. Maguy est très attachée à la notion de troupe. J’ai appris auprès d’elle des choses qu’aucune école ne peut transmettre et cela a été extrêmement fondateur pour moi.
DCH : Que vous a-t-elle apportée dans votre travail ?
Yoann Bourgeois : Avec Maguy Marin, j’ai pu aborder la question du collectif. Et dans le théâtre surgit la dimension de l'histoire familiale, humaine. Même si nous avons gardé des points de divergence. Notamment parce que je me refuse à mettre l’homme au centre, ou faire du collectif un sujet central. Peut-être par position politique, d’ailleurs.
Elle a été très importante à de nombreux niveaux différents. D’abord par le niveau de la pratique artistique, directement issue de la danse classique, qui est un rapport au temps, au rythme. Je n’avais jamais appris à me repérer sur une musique. Quand on arrive dans la compagnie, on apprend May B. Du coup, on doit compter pendant toute la pièce. Dans la pratique circassienne, l’action a une autorité toute puissante sur le temps. On n’essaie jamais de la faire tenir dans une durée.
J’ai aussi beaucoup appris en m’intéressant à la gestion du CCN. Et puis par son rapport à l’histoire. C’est pour ça que je m’étais tourné vers la danse. La matière historique, le répertoire, n’existe pas dans l’enseignement du cirque. On répète le salto arrière ou le flip-flap un point c’est tout. À Angers, j’ai repris Set & Reset de Trisha Brown, pour moi, c’était très stimulant de comprendre comment une technique avait répondu à une problématique autre, complétement intégrée à sa pratique.
DCH : N’existe-t-il aucune littérature, aucune trace historique sur le cirque ?
Yoann Bourgeois : Au Centre national des Arts du Cirque à Châlons, il existe un magnifique centre de ressources mais tous les écrits sont pris en charge par des universitaires, des personnalités institutionnelles ou par la presse. Il y a un véritable enjeu culturel du cirque à cet endroit.
DCH : Être présent à la Biennale de la danse de Lyon, c’est un enjeu important pour vous ?
Yoann Bourgeois : Oui, c’est certain ! Et pour faire ce travail, j’ai eu la chance d’être artiste associé à la MC2 de Grenoble. J’ai pu avoir beaucoup de temps et de bonnes conditions de travail, grâce à cette fidélité. La Fondation BNP Paribas m’aide aussi énormément. C’est presque la survie de la compagnie qui en dépend. Car elle n’a que quatre ans d’existence, et, d’une certaine façon, elle a grandi un peu vite. Nous n’avons pas encore de subvention de fonctionnement car la compagnie est trop jeune. Donc la Fondation BNP Paribas nous permet d’assurer. Car s’il est vrai que nous arrivons, au niveau du personnel, à nous autofinancer en grande partie, nous ne sommes pas dans une dynamique de rentabilité. Et le soutien de la Fondation BNP Paribas n’est pas flêché, du coup, ça nous permet une plus grande souplesse budgétaire.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Les 21 et 21 septembre, Opéra de Lyon, Biennale de la danse de Lyon, avec le soutien de la Fondation BNP Paribas
Rencontre avec Yoann Bourgeois
Sitôt la représentation terminée, Yoann Bourgeois rejoint le bord de scène pour rencontrer le public, échanger et répondre aux questions.
À l'issue de la représentation du dim 21 septembre
L'atelier du joueur
Le mer 24 sept., sur la Place des Terreaux, Yoann Bourgeois, accompagné d'un complice, vous guide le temps d'un jeu pour trouver le "point de suspension".
Trois séances à 15h30, 16h15 et 17h
Place des Terreaux