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Entretien : François Chaignaud à propos de Думи мої
Proposé dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon, Думи мої (à prononcer Doumi Moyi) est un spectacle hors du commun à découvrir. François Chaignaud, son interpréte et créateur nous en livre quelques clés…
Danser Canal Historique : Le spectacle que vous proposez est tout à fait unique. Il s’agit d’un solo conçu comme une étrange cérémonie, entre danse et chant, extravagance et rituel. Le titre est celui d’une mélodie ukrainienne et signifie « Mes pensées », mais ce n’est pas la seule chanson, ni la seule origine évoquée dans ce spectacle. Comment avez-vous choisi les autres airs ?
François Chaignaud : Je connnaissais certaines chansons depuis longtemps et je rêvais d’avoir l’occasion de les chanter. J’ai également travaillé avec Jérôme Marin, qui a une immense culture en ce domaine, au point que l’on pourrait le considérer comme un historien de la musique chantée. La recherche a donc été intense, sinon exhaustive, de chants d’envoûtements ou de confessions à des mélodies populaires, et surtout nous avons exploré des aires linguistiques très variées. La préparation a été comme un voyage d’écoute et j’ai même appris bien plus de chants que ceux que j’utilise.
DCH : Думи мої vous a-t-il demandé un travail de la voix particulier ?
François Chaignaud : Cela a surtout suscité un énorme travail d’apprentissage car la plupart de ces chants sont dans des langues que je ne parle pas. Il m’a donc fallu m’atteler à la mémorisation et j’ai pris quelques cours de chant juste avant la création à Montpellier Danse. Mais j’avais bien pris soin, auparavant, d’inviter le professeur à venir voir ce que je faisais physiquement. J’ai suivi très peu de cours de chant dans ma vie car les professeurs me semblaient trop dogmatiques justement sur la tenue que le corps doit avoir pour émettre le son. C’était non seulement frustrant, mais surtout, cela ne pouvait pas convenir à mes envies, ni à mes recherches, qui sont d’être vraiment dans des situations engagées au niveau physique. Il faut avouer que je chante mieux en dansant qu’immobile au milieu de l’assistance !
DCH : Voulez-vous dire que vous n’avez pas pris de cours de chant ? Pourtant votre voix est impressionnante…
François Chaignaud : J’en ai pris extrêmement peu. À Montpellier, c’était surtout pour avoir des conseils en matière d’échauffement. Car je donne Думи мої trois à quatre fois par jour et je voulais être certain de ne pas mettre ma voix en danger. Mais sinon, j’évite.
Par contre, j’ai sollicité une personne pour m’aider à déchiffrer les musiques car je n’ai pratiquement pas de formation en solfège. Il est davantage chef de chant que professeur. Nous avons travaillé une dizaine de jours sur les douze ou treize mélodies que j’avais choisies et ensuite, je me suis débrouillé seul.
DCH : En vous voyant, cela semble particulièrement ardu de chanter et de danser avec les costumes inouïs que vous portez… Notamment à cause du poids.
François Chaignaud : En fait, ils ont l’air plus lourds qu’ils ne le sont en réalité. Toujours est-il que ça reste difficile, ce sont même les pires conditions qui soient pour sortir sa voix. Mais j’ai découvert que le chant agit sur moi comme un fuel, une essence qui énergise le corps et du coup, ça devient presque plus aisé pour moi que d’autres pièces. La colonne d’air me porte énormément, on pourrait presque dire que le souffle a sa propre intelligence.
DCH : Vous faites explicitement référence au Theyyam, un art sacré du Malabar (Inde) où les artistes incarnent des dieux et qui peut durer une journée entière, pourquoi ?
François Chaignaud : C’est en Inde que j’ai pu assister à quelques cérémonies qui m’ont fascinées. C’est pourquoi j’ai voulu m’en inspirer sans toutefois les copier ou tomber dans le reportage. Mais ceux qui ont la chance de voir cela ont des images qui restent gravées à jamais, qui impressionnent durablement. Ces sensations, de la proximité avec la foule, l’intensité, la sophistication très bariolée, très extravagante des acteurs-danseurs, mais aussi la difficulté à maîtriser ces costumes gigantesques, les girations sans fin, m’ont inspirées mais je les ai sorties de leur contexte rituel.
DCH : Il ressort pourtant quelque chose d’assez chamanique de cette pièce..
François Chaignaud : Je pense que cela vient aussi de la configuration des lieux, associée à des formes plus rituelles. Peut-être est-ce dû également au fait de jouer trois à quatre fois par jour. Cela modifie le sens même de la représentation. Parce qu’il y a là quelque chose de très insistant, qui se répète et devient très différent de l’habitude de se préparer toute la journée pour donner un spectacle le soir. La répétition me plonge dans un état de dévouement presque absolu puisque je reste dans un état particulier de 18h30 à minuit. Par ailleurs, les éléments de costumes qui convoquent des animaux réels, des cheveux, sont des matières chargées, selon certaines cultures, de pouvoirs spécifiques. Je pense que c’est l’association de tous ces éléments qui dégage ce sentiment, même si moi, je suis concrètement occupé à chanter et à faire certains gestes. Je ne cherche en tout cas aucunement à me placer littéralement en position de faux chaman.
DCH : Vous êtes très proche du public. Cela modifie-t-il votre perception de la représentation ?
François Chaignaud : C’était le point de départ et ça me semble toujours aussi attirant, surtout pour la danse. Souvent je suis déçu d’être si loin du public. La proximité, dans le meilleur des cas ajoute en intensité, c’est presque magique. C’est également lié au lieu choisi pour ce spectacle, souvent très inhabituel. En Italie, il était donné dans une grotte.
Dumy Moyi @ Odile Bernard-Schröder
DCH : Il y a dans Думи мої me semble-t-il une parenté avec la façon dont on présentait un certain exotisme dans les années 1920. À la fois proche de la « revue » mais aussi proche d’un esprit avant-gardiste...
François Chaignaud : C’est exactement ce à quoi je me suis attaché. En lisant des ouvrages sur l’histoire de la danse, j’ai découvert que c’est dans les revues et les cabarets des années 1920-1930 que se confrontaient toutes ces inspirations, y compris la fascination exotique ou « exotisante », pafois sincère, parfois ironique ou ambiguë mais qui contribuait à une grande créativité. C’est de là que sont nés les petits formats de spectacle, la danse en solo, les costumes extraordinaires, les effets optiques. L’espace de jeu réduit de Думи мої m’y fait aussi penser.
Les spectacles faisaient montre d’une profusion inédite, car ils n’étaient pas simple rejet du classique ou de la danse institutionnelle, mais ils se laissaient attirer par l’étrangeté la plus variée, la plus inattendue. C’est grâce à ce passé que j’ai compris qu’il était possible de transcrire ces impressions de voyage en Inde. Car cela permettait de les relier à une histoire plus européenne et qui contient toutes les contradictions, les paradoxes, et les enjeux géopolitiques qui sont compris dans cette attraction pour l’exotique. Ça me semblait important d’essayer de l’articuler avec l’histoire de ces artistes qui ont été aussi séduits par ces danses qu’ils venaient de découvrir soit en voyageant, soit avec les expositions universelles. Et il me paraissait plus intéressant de ne pas traiter mon seul attrait pour ces danses mais de le mettre en perspective.
DCH : Et à Lyon, où allez-vous le donner ?
François Chaignaud :À Lyon, je vais jouer dans une salle des fêtes en face du Toboggan. Ce n’est donc pas un lieu architectural exceptionnel, mais ça me plaît de savoir que c’est un lieu très vivant qui accueille des mariages, des fêtes en tout genre. C’est plutôt réjouissant d’avoir un endroit comme celui-là, chargé de cette énergie très réelle, habitué à des célébrations d’aujourd’hui.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Accueil : Le Toboggan, Décines les 19 et 20 septembre à 18h30, 20h30 et 22h45
http://www.biennaledeladanse.com/spectacles/francois-chaignaud.html