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« Ma Bayadère » de Maillot, sacrée danseuse !
Plus que jamais amoureux d’une danse sur pointes qui vise l’excellence jusqu’à la déraison, Jean-Christophe Maillot se l’approprie pour nous offrir sa relecture de La Bayadère, monument du Répertoire classique avec lequel il n’en finit pas de dialoguer. Création à Monaco le 27 décembre 2025 !
Maillot fait « Sa » Bayadère. L’information, pour alléchante qu’elle soit, ne surprend guère tant le chorégraphe des Ballets de Monte-Carlo s’est fait une véritable spécialité de revisiter les grandes machines du ballet. Tout au plus peut-on s’étonner qu’il porte son dévolu sur cette grosse pâtisserie indienne qui, pour avoir été le premier vrai succès de Petipa, n’est pour autant pas la plus remarquable réussite en termes de livret. Mais cet aspect compte moins que la mise en valeur des danseurs, et il semble bien que la pépite Juliette Klein, découverte récente des Ballets de Monte-Carlo, soit de la partie.

Il ne faut pas trop croire Jean-Christophe Maillot quand il écrit : « On pourrait penser que le chorégraphe narratif que je suis écrit ses ballets à l’avance suivant un découpage qu’il met ensuite en mouvement » (in La Danse en festin, éd. Gallimard, p. 48-49). Jean-Christophe Maillot oublie une part de son œuvre. Il est aussi chorégraphe narratif qu’abstrait, et c’est d’ailleurs à cette dernière tendance qu’il doit certaines de ses plus grandes réussites : qu’on pense à Dov’è la luna (1994), Vers un pays sage (1995), Entrelacs (2000) ou encore Altro Canto (2006 et 2008)… La liste est assez longue. En revanche, plutôt qu’un « narratif », il convient de voir dans le chorégraphe du Ballet de Monte-Carlo un amoureux du répertoire, de ces récits entretissés de traditions qu’avec une certaine jubilation il se plaît à déconstruire… pour les reconstruire aussitôt. Car en la matière, il a pratiquement coché toutes les cases, à commencer par les trois références du genre, les Petipa-Tchaïkovski de référence, dans l’ordre (celui de Maillot s’entend) : Casse-Noisette Circus dès 1992 — dernière œuvre qu’il créa à Tours, car il y a un Maillot très intéressant avant le Maillot-Monaco — recréé en 1999 puis encore en 2023, La Belle (2001) et LAC (2011)…
Photos de répétions - "Ma Bayadère" © Alice Blangero
Est-il besoin de préciser que les deux derniers titres correspondent respectivement à La Belle au bois dormant et au Lac des cygnes ? Le jeu de réduction des titres confirme que le chorégraphe, pour se passionner pour le répertoire, aime le tordre, le relire, le bousculer. Il fit la même chose pour Le Songe d’une nuit d’été, devenu en 2005 Le Songe ; si Roméo et Juliette (1996), le « blockbuster » de Maillot, n’a pas été abrégé, il ne faut pas oublier que dix ans auparavant il avait été inversé en Juliette et Roméo. Mais au-delà de cette irrévérence fastueuse, tous les grands titres y sont. Ainsi, dans le désordre et sans se préoccuper des titres — car ils purent connaître quelques facéties — Shéhérazade, Coppélia, Les Noces, Daphnis et Chloé, Faust, La Mégère apprivoisée, etc. Ce qui ne relève pas des Ballets Russes vient de Cranko, et pour ceux qui s’étonnent de Faust, rappelons que le ballet de l’opéra de Gounod fut la pièce chorégraphique la plus dansée au XIXᵉ siècle en France à partir de sa création en 1859… Même Le Sacre, mais relégué dans les tréfonds du parcours, car Jean-Christophe Maillot sacrifia au rite qui veut qu’un chorégraphe s’y aventure dans ses jeunes années ; ce fut donc à Tours en 1985 (Martha Graham seule s’attaqua au Sacre sur le tard, en 1984, à 90 ans)… Il ne manque que La Sylphide et Giselle au palmarès.

Maillot aime la couche d’émotion chorégraphique que dépose chaque génération de danseurs sur les rôles du grand répertoire. Toujours danseur — même si sa carrière s’arrêta brutalement à l’âge de 23 ans — il aime retrouver ce que chacun des titres du répertoire porte de mythologie, et cette version de La Bayadère en est la démonstration. Le chorégraphe l’explique dans une interview : « La Bayadère me fascine depuis toujours parce qu’elle parle de la vie d’un groupe de danseuses sacrées sur leur lieu de travail, qui s’avère être un temple. Il y a un parallèle évident à mes yeux entre cette situation et ce que peut vivre une compagnie de ballet au sein d’un théâtre. En lisant entre les lignes l’argument de cette pièce, je retrouve beaucoup d’éléments qui dessinent le quotidien des artistes chorégraphiques.* » Mise en abyme assumée. Ainsi suivra-t-on une compagnie de ballet qui répète La Bayadère pour suivre la troupe dans sa vie et ses tourments, processus qu’avait utilisé John Neumeier — ci-devant mentor chorégraphique de Jean-Christophe Maillot — pour sa version du Lac des cygnes (Illusionen wie ein Schwanensee, 1976), qui montrait le ballet (version Petipa ou antérieure ?) à travers la folie de Louis II de Bavière.

Mais le procédé de la mise en abyme peut être plus léger, voire frivole, comme dans Le Conservatoire (1849) de Bournonville où les stratégies amoureuses de Monsieur Dufour, inspecteur du Conservatoire de Paris, permettent de mettre en valeur le travail quotidien des danseurs. C’est pourtant la même fascination qui s’exprime pour les danseurs qui s’abandonnent à la danse dans ce mélange de sublime et de trivialité qui fait la vie d’un studio. D’ailleurs, la suite de la situation par laquelle nous commencions en témoigne : « Un ballet n’est pas quelque chose auquel je vais penser, c’est quelque chose que je vais trouver. J’entre un matin dans le studio avec un début d’histoire, plus souvent une musique, et je m’enferme avec les danseurs pendant plusieurs mois. Avant d’être des œuvres racontées au public, mes ballets sont des histoires entre les danseurs et moi » (op. cit.). Jean-Christophe Maillot dit toujours, à travers ses grands ballets, quelque chose de la magie de l’interprétation et du travail des danseurs. La — relativement — récente Mégère apprivoisée et l’évolution stylistique autant que psychologique en valent démonstration.
Photos de répétions - "Ma Bayadère" © Alice Blangero
Alors, dès le titre, osons une analyse : Ma Bayadère. Une bayadère étant une danseuse sacrée, Ma Bayadère signifie donc à la fois « ma danseuse sacrée » autant que « ma vision du ballet de Petipa titré La Bayadère ». Le simple pronom possessif (et une capitale) souligne combien compte celle (ou celui, en réalité, le genre ici importe moins que ce qu’on veut en croire) dans l’œuvre, plus encore que l’œuvre elle-même (comme La Belle, en son temps, avait été une véritable déclaration). Or, après avoir brillé dans La Mégère, Juliette Klein, bientôt 23 ans et ballerine jusqu’au bout des ongles, dévouée à ses rôles, est de la partie. Non la femme qui danse, mais l’idée de la dévotion complète à la danse. Ce qui peut être un credo de Maillot.
Philippe Verrièle
Du 27 décembre au 4 janvier au Grimaldi Forum, Salle des Princes.
Distribution
MA BAYADÈRE - JEAN-CHRISTOPHE MAILLOT
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot | Musique : Léon Minkus | Décors et costumes : Jérôme Kaplan, assisté de Paul Kaplan | Lumières : Jean-Christophe Maillot et Samuel Thery | Dramaturgie : Jean-Christophe Maillot et Geoffroy Staquet | Première : 27 décembre 2025, Grimaldi Forum Monaco.
Avec L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction : Garrett Keast
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