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Contrastes : Trisha Brown, Imre et Marne Van Opstal, et David Dawson à l’Opéra de Paris.

Cette soirée bien nommée offre aux spectateurs une traversée de l’histoire de la danse contemporaine, comme un aperçu des diverses esthétiques… et surtout de la versatilité des écritures que les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris incarnent superbement.

La soirée intitulée Contrastes au Ballet de l’Opéra de Paris se déploie comme une traversée de trois univers chorégraphiques, chacun affirmant une identité singulière et offrant aux danseurs de la compagnie des terrains d’expression radicalement différents. José Martinez, directeur de la Danse, a choisi de mettre en regard la fluidité postmoderne de Trisha Brown, la virtuosité néoclassique de David Dawson et l’énergie viscérale du duo néerlandais Imre et Marne van Opstal.
Avec O złożony, O composite, Trisha Brown propose une écriture qui part de gestes simples, presque quotidiens, pour les transformer en une danse subtile où le vocabulaire classique se mêle à la légèreté de la postmodern dance. La scénographie étoilée de Vija Celmins enveloppe les danseurs dans une atmosphère cosmique, comme suspendue entre ciel et sol. La musique de Laurie Anderson composée à partir du poème Ode à un oiseau, de Czesław Miłosz (1911-2004), qu’une voix récite en polonais, traversée de nappes sonores, accentue cette impression de flottement. Marine Ganio, Antoine Kircher et Andrea Sarri s’attachent à restituer la précision de ce langage. On se souvient que la pièce, créée en 2004 pour l’Opéra de Paris pour Aurélie Dupont, Manuel Legris et Nicolas Le Riche, avait été l’occasion d’un séjour de six semaines à New York pour ces trois étoiles, avec la chorégraphe américaine.  O złożony, O composite déployait une sorte de « dansité » fluide où chaque mouvement, aussi infime soit-il, devenait porteur d’une intensité poétique.  Si aujourd’hui, elle conserve cette aura de rencontre entre deux mondes : celui de la rigueur académique et celui de l’expérimentation gestuelle, elle manque certainement de cette fluidité si caractéristique de Trisha Brown grâce à laquelle tous les mouvements sont connectés extraordinairement comme une rivière que l’on ne peut arrêter.

Galerie Photo © Benoite Franton/OnP

Le solo If You Couldn’t See Me, également signé Trisha Brown, accentue cette singularité. Dansé entièrement de dos, il impose une contrainte radicale qui déplace le regard du spectateur vers une autre surface expressive : le dos de l’interprète. Hannah O’Neill, lors de cette reprise, fait de cette absence de visage une force, laissant apparaître une danse qui semble adressée à un interlocuteur invisible. La chorégraphie, suggérée par Robert Rauschenberg, joue sur l’équilibre instable et le détachement élégant. Mais ici, encore plus que dans le précédent, Hannah O’Neill manque de cet abandon, cette sorte de liberté et de nonchalance apparente que Trisha Brown poussait à son maximum dans sa prorpre interprétation.

Galerie Photo © Benoite Franton/OnP

Le contraste est saisissant lorsque s’ouvre Anima Animus de David Dawson. Ici, la danse s’élance dans une virtuosité néoclassique qui magnifie les interprètes. Les lignes sont étirées, les portés spectaculaires, les enchaînements rapides et acérés. Les bras s’étirent jusqu’à la cassure des poignets, les lignes se déploient en arabesques fulgurantes, écarts extravagants, les portés se succèdent avec une sophistication presque acrobatique. La chorégraphie joue sur l’opposition entre élévation et ancrage, entre vitesse et suspension, et met en valeur la confiance absolue entre partenaires. Germain Louvet brille particulièrement dans ce registre, étant aussi flamboyant qu’attentif. Les costumes noir, blanc et beige accentuent l’effet graphique, tandis que la musique d’Ezio Bosso propulse les danseurs dans une frénésie maîtrisée. Valentine Colasante, Bleuenn Battistoni, Germain Louvet et Andrea Sarri incarnent à la perfection cette écriture exigeante, où les ensembles, particulièrement bien construits, sont époustouflants, où la beauté des lignes prime peut-être sur la profondeur dramatique, mais qu’importe, tous les ballets n’ont pas forcément à jouer sur l’émotion pour être séduisants.

Galerie Photo © Benoite Franton/OnP

Enfin, Drift Wood (bois flotté en néerlandais) de Marne et Imre van Opstal plonge la soirée dans une atmosphère plus sombre et viscérale. Douze danseurs évoluent dans un décor de murs mouvants et de toiles sombres, inspirées de la peinture hollandaise, sur une musique rock d’Amos Ben-Tal. La gestuelle est pulsante, traversée par une énergie brute : corps couchés au sol, sauts vigoureux, duos qui explorent des portés et des glissés inattendus. Les costumes aux tons passés, genre fermiers du Nord, ou communauté amish, en quête d’identité, puis en collants découpés façon DIY sont particulièrement laids et gênent la lisibilité de la chorégraphie. Si l’écriture peut sembler familière aux amateurs de danse contemporaine, évoquant tout à la fois Ohad Naharin, Hofesh Shechter et même Pina Bausch quand les danseuses rasent les murs, l’engagement des interprètes, tous excellents, lui confère une intensité indéniable.

Galerie Photo © Benoite Franton/OnP

Ainsi, Contrastes ne juxtapose pas simplement trois esthétiques : il compose une dramaturgie où chaque univers éclaire l’autre. La fluidité poétique de Trisha Brown, la virtuosité abstraite de David Dawson et la puissance organique des van Opstal se répondent dans une mosaïque qui affirme la capacité du Ballet de l’Opéra de Paris à naviguer entre héritage et création, entre précision académique et audace contemporaine. Ce dialogue des styles, porté par des interprètes investis, offre au spectateur une traversée où la diversité des écritures devient la véritable matière de la soirée.

Agnès Izrine
Vu le 2 décembre 2025, Opéra Garnier. Jusqu’au 31 décembre 2025.

DISTRIBUTION

O złożony, O composite
Chorégraphie Trisha Brown
Musique Laurie Anderson

Décors Vija Celmins

Costumes Elizabeth Cannon

Lumières Jennifer Tipton

Création pour le Ballet de l’Opéra national de Paris le 17 décembre 2004 
Interprètes : Marine Ganio, Antoine Kirscher, Andrea Sarri

If you couldn’t see me

Chorégraphie Trisha Brown

Musique, Décors et Costumes Robert Rauschenberg

Interprète  Hannah O'Neill
Lumières Jo Levasseur

Solo créé par Trisha Brown au Joyce Theatre (New York) le 3 mai 1994 
Entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra national de Paris entrée au répertoire


Anima/Animus

Chorégraphie David Dawson

Musique Ezio Bosso

Décors John Otto

Costumes Yumiko Takeshima
Lumières James F. Ingalls

Création le 21 avril 2018 par le San Francisco Ballet 
Entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra national de Paris 
Solistes : Bleuenn Battistoni, Valentine Colasante Marc Moreau, Paul Marque, Germain Louvet, Andrea Sarri, 
Interprètes : Hohyun Kang, Bianca Scudamore, Clara Mousseigne, Elizabeth Partington

Drift Wood
Chorégraphie Imre van Opstal, Marne van Opstal

Musique Amos Ben-Tal

Musique et Création sonore Salvador Breed
DÉCORS Imre et Marne van Opstal, Tom Visser

Costumes | AlainPaul
Lumières Tom Visser

Assistante des chorégraphes Chloé Albaret

Création pour le Ballet de l'Opéra national de Paris 
Interprètes : Clémence Gross, Caroline Osmont, Ida Viikinkoski, Jennifer Visocchi, Seohoo Yun, Adèle Belem, Marion Gautier de Charnacé, Mikaël Lafon, Yvon Demol, Loup Marcault-Derouard, Baptiste Bénière, Eric Pinto Cata

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