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« Vagabondages & conversations » de et avec Christian Ubl et Gilles Clément.

Le danseur-chorégraphe Christian Ubl et l’ingénieur horticole, botaniste, paysagiste, jardinier et écrivain Gilles Clément viennent de présenter au théâtre de Suresnes, dans le cadre du festival Playground des Rencontres chorégraphiques, un spectacle vivant traitant, précisément, « du vivant » au moyen de l’art de Terpsichore, joignant ainsi le geste à la parole.

Cette conférence dansée ou danse conférée, n’est pas consacrée à la danse, comme l’étaient, sauf erreur, les premières du genre, celles d’André Levinson, critique de danse et historien, sur la danse espagnole, illustrées par des exemples de braceo, zapateado et percussion de castagnettes exécutés par Antonia Mercé, dite La Argentina, qui eurent lieu le 30 novembre 1923 et le 28 février 1924 à la Comédie des Champs-Élysées. Celle intitulée Vagabondages & conversations nous est présentée comme « une proposition poétique et écologique s’inspirant de la nature, de la biodiversité et de la transmission intergénérationnelle ».

Elle prend la forme d’une émission de radio fictive (RFF ou Radio France future), alternant une introduction enregistrée de Gilles Clément, des propos dits par cœur par le savant vulgarisant ses connaissances sur les plantes et sur la nature et des musiques baroques (références étant faites au jardin à la française et au Versailles de Louis XIV), blues, pop et folk. On reconnaît au passage l’allegretto de L’Hiver d’Antonio Vivaldi, le tube de Serge Gainsbourg Sous le soleil exactement (1969), interprété par Brigitte Bardot, « clin d’œil au réchauffement climatique » selon Ubl, on a droit à des plages électroniques signées Jordan Dixneuf, collaborateur régulier du chorégraphe et, au final, à la chanson à texte Gracias a la vida de la chanteuse chilienne Violeta Parra, sortie en 1966, un an avant son suicide.

Le chorégraphe franco-autrichien Christian Ubl, formé au sport, passé par Thomas Lebrun et les Carnets Bagouet, à la tête de la compagnie CUBe qui célèbre ses vingt ans d’existence, est favorable au « métissage » des espèces et au mélange des genres. Gilles Clément, plutôt que d’évoquer, comme Deleuze, le rhizome ou, comme Ubl, l’hybridation, préfère parler de « brassage » pour caractériser ce qui s'est tissé au fil du temps – au sens diachronique et météorologique du terme. S’entremêlent un peu plus d’une heure durant exposé oral et démonstration chorégraphique.

Soit dit en passant, Suresnes était une localité judicieusement choisie pour présenter une réflexion sur les plantes et les conditions de l’environnement. La ville n’est pas seulement connue pour ses natifs (Yves Mourousi, Jean-Christophe Averty et sa fille, Hervé This, Catherine Ringer, Leos Carax, Alain Ducasse, Stéphane Plaza, Julie Gayet, etc.), pour son théâtre et sa manifestation Cités danse. C’est aussi une cité-jardin datant des années vingt, sur le modèle préconisé par l’urbaniste britannique Ebenezer Howard à la fin du XIXe siècle. Une ville à la campagne, veillant à l’habitat social et au cadre de vie, aux espaces verts, aux parcs et jardins.

La pièce Vagabondages & conversations est dans l’air du temps et peut être mise en rapport avec, par exemple, celle de Martin Harriague pour Malandain ballet Biarritz, Sirènes, que nous découvrîmes en 2018 qui évoquait par la danse et la dramaturgie le problème des fonds marins menacés par la matière plastique. Sauf qu’ici la question écologique et celle du changement climatique sont abordées à la fois de façon sérieuse et pas sérieuse du tout. Chritian Ubl, incarne, si l’on peut dire, une graine d’edelweiss qui se déplace et se transforme ; il mime de façon amusante le récit que propose Gille Clément. Il invite le conférencier à la danse, lui fait exécuter pirouettes et pas de deux. L’octogénaire est gracieux dans sa gestuelle, précis dans son discours.
 

Avec peu de moyens, un minimum d’accessoires (une collection de drapeaux nationaux formant un palimpseste visuel, jetés en tas sur une banquette, symbolisant la migration des plantes et des humains), quelques costumes de scène (deux tabliers de jardiniers, deux masques animaliers, une tenue de vacancier…), le duo capte l’attention du public qui participe volontiers à une brève chorégraphie de groupe. L’aisance corporelle de l’un, dans différentes danses passées en revue, y compris la serpentine du final, l’éloquence de l’autre, promoteur du « jardin en mouvement », font de cet échange un moment poétique fort appréciable par les temps qui courent.

Nicolas Villodre
Vu le 23 novembre 2025 salle Aéroplane, théâtre de Suresnes, dans le cadre de Playground.

 

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