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10e édition du festival Immersion Danse !

Entretien avec Joël Gunzburger, directeur de L’Onde – Théâtre Centre d’Art à Vélizy-Villacoublay, fondateur d'Immersion Danse. Celui-ci jette un regard sur le festival et plus largement sur son engagement de programmateur.

Danser Canal Historique : Comment est née l’idée du festival Immersion Danse ?

Joël Gunzburger : Il y a dix ans, lorsque j’ai présenté ma candidature à la direction de L’Onde, j’ai souhaité inscrire dans le projet un temps fort pluridisciplinaire et international. L’idée était de créer une sorte de focale, une photographie – forcément subjective – de ce qui se jouait sur les scènes européennes et au-delà. Très vite, au fil de la programmation danse que je menais, le ministère de la Culture m’a proposé de conventionner la structure pour la danse. Ce fut un tournant. Il est devenu évident que ce temps fort devait se consacrer pleinement à cet art, dans une logique d’immersion totale. D’où le nom : Immersion Danse. Ce festival est resté fidèle à son ambition initiale – celle de capter, à travers quelques œuvres, une image mouvante de la scène chorégraphique contemporaine, nationale et internationale.

DCH : Votre arrivée à la tête de L’Onde, à Vélizy, a-t-elle représenté un défi particulier ?

Joël Gunzburger : Ma nomination à Vélizy relevait d’un certain pari. Le territoire est singulier, enclavé entre l’autoroute et la forêt, en lisière de la région parisienne. Or, les Franciliens – et les Parisiens en particulier – sont très attachés à leur commune, à leur quartier. Ils se déplacent peu, sinon vers quelques institutions historiques bien identifiées. Dans ce contexte, implanter un projet artistique ambitieux à Vélizy pouvait sembler audacieux. Mais je ne l’ai jamais vécu comme un défi. J’avais été choisi, ma légitimité était entière, et j’estimais que le projet que je portais l’était tout autant. Ce que j’allais mettre en œuvre relevait pour moi de l’évidence, d’une forme de continuité entre ceux qui m’avaient fait confiance et ce que je suis profondément. Je n’en mesurais pas encore toutes les difficultés – elles se sont révélées avec le temps. Mais je suis quelqu’un de rassurant, je crois. Rigoureux, ouvert au dialogue, passionné sans être emporté. J’ai un tempérament, certes, mais je suis à la fois un intellectuel et un manuel, un gestionnaire et un homme profondément acquis à la chose artistique, à sa vibration intime. C’est cette double nature qui m’a permis, je pense, de faire exister ce projet dans un territoire qui, au départ, ne semblait pas forcément prédestiné à l’accueillir.

DCH : Quelle est votre ligne artistique dans la sélection des œuvres ?

Joël Gunzburger : Elle repose sur une exigence constante. J’ai toujours cherché à faire dialoguer les œuvres avec le monde, à travers des artistes capables de nous déplacer, de nous faire comprendre les choses autrement. Je ne fais pas de distinction entre la création contemporaine et la relecture du passé : une œuvre ancienne peut être d’une modernité fulgurante. Ce qui m’importe, c’est la qualité de l’expression artistique, sa capacité à nous heurter ou à nous élever. J’ai toujours souhaité que les artistes que j’invite soient à la fois d’une rigueur absolue et porteurs d’une vision singulière. Certains nous frappent par leur brutalité, d’autres par leur subtilité, mais tous doivent être capables de nous faire basculer dans une perception nouvelle – de nous-mêmes, du monde, de l’art. Alors l’Art est peut-être un grand mot, je le dis donc de façon concrète, j'ai toujours voulu montrer sur scène des artistes qui étaient à la fois de l'ordre du coup de poing, c'est-à-dire de quelque chose d'irrationnel, et à la fois des êtres d'une intelligence subtile, particulière et parfois transcendante, capables tout d'un coup de nous amener à ouvrir nos yeux à des mondes qui nous étaient inconnus, ou alors à l'inverse, à ouvrir nos yeux et notre esprit à des choses que nous pensions connaître et que nous ne connaissions pas. Ils peuvent être des artistes confirmés comme des talents en devenir auxquels je crois.

DCH : Vous parlez souvent de prise de risque. Est-ce une constante dans votre programmation ?

Joël Gunzburger : C’est une nécessité. Programmer, c’est parier. C’est faire confiance à des intuitions, à des trajectoires futures. Marina Otero, que j’ai programmée lors de la précédente édition d’Immersion Danse par exemple, incarne cette audace. Elle possède une intelligence chorégraphique rare, une maîtrise du mouvement et de l’équilibre des forces qui fascine. Mais ce qui me frappe chez elle, c’est sa capacité à manipuler les esprits, à décortiquer la pensée du spectateur. Elle nous entraîne dans une forme de psychanalyse scénique, où la beauté plastique côtoie une manipulation intellectuelle troublante. C’est une artiste qui dépasse les cadres, qui nous surprend là où nous pensions être en terrain connu. Et c’est précisément ce type de vertige que je recherche.

DCH : Quels sont les temps forts de cette 10e édition d’Immersion Danse ?

Joël Gunzburger : Plusieurs propositions me semblent particulièrement prometteuses. D’abord, Never Enough de Shihya Peng accompagnée par Alexandre Bouvier, musicien électro et vidéaste. Shihya est une interprète remarquable, que nous avons déjà accueillie dans des pièces de chorégraphes reconnus. Cette fois, elle vient avec son propre projet, et j’ai immédiatement voulu l’accompagner. Ce qu’elle propose est d’une densité rare, mêlant corps, image et choc sonore dans un univers très singulier. Autre moment fort : la soirée coprogrammée avec Danse Danse et L’Étoile du Nord, autour de 3h33 in my room de Chris Fargeot et Ulysse Zangs, suivie de Bounce du collectif Sons of Wind – les fils du vent. Cette soirée pourrait atteindre un paroxysme émotionnel. Chris Fargeot, danseuse urbaine très talentueuse, sera accompagnée par un musicien qui ne dansera pas mais jouera en direct. Ulysse Zangs, lui, est à la fois danseur, chanteur et DJ. Cette hybridation des rôles crée une pulsation scénique inédite. Quant à Bounce, c’est une pièce fondée sur un rythme binaire – ce pouls qui structure les danses urbaines – et qui devient rebond, la colonne vertébrale d’une écriture chorégraphique collective, tellurique, puissante. La soirée se clôt sur une performance DJ électro, non pas comme une cerise sur le gâteau, mais comme une pièce montée émotionnelle, où chaque étage intensifie le précédent.

DCH : Jann Gallois propose également sa dernière création. Que pouvez-vous nous en dire ?

Joël Gunzburger : Jann est une artiste que nous soutenons depuis ses débuts. Elle est musicienne, chorégraphe, ancienne gymnaste, et profondément habitée par une spiritualité bouddhiste qui imprègne son travail. Sa nouvelle pièce, Imminente est fondée sur cette philosophie. Elle n’y danse pas. C’est peut-être la première fois qu’elle adopte cette posture de chorégraphe exclusivement. Jann est née dans la musique – son père est l’un des grands hautboïstes du XXe siècle – et elle joue elle-même de plusieurs instruments avec une maîtrise remarquable. Cette pièce pourrait révéler une force paradoxale : celle d’une sagesse qui agit comme un rouleau compresseur, une puissance tranquille mais irréversible.

DCH : D’autres artistes à découvrir ?

Joël Gunzburger : Federica Miani dite « Mia », avec Animals, propose une exploration de l’animalité comme principe chorégraphique. Elle est convaincue que chacun de nous est habité par un animal, et compose sa pièce à partir du sien – un félin, je crois. Elle mêle élégance, puissance corporelle et mystique tellurique. Son travail est fondé sur une horizontalité expressive, une relation au sol qui rappelle les danses urbaines, mais avec une grâce singulière. C’est une artiste à suivre. J’aime aussi beaucoup les Delgado-Fuchs, pour leur complicité qui les lie intimement, leur humour, leur corporalité, leur esthétique proche de la peinture et de l’architecture. Ils jouent avec les clichés, les détournent, les moquent. Leur pièce Topeep Secret Box n’est pas un coup de poing, mais elle fait du bien. Elle nous réjouit, nous libère. Ils abordent la sexualité, la nudité, les stéréotypes avec une intelligence rare, en évitant toute vulgarité. Ils nous rappellent que l’art peut être subversif sans être agressif, profond sans être pesant.

DCH : Dance me des Ballets Jazz de Montréal sur la musique de Leonard Cohen est beaucoup plus classique. Est-ce une inflexion dans votre festival ?

Joël Gunzburger : Je suis allé voir cette pièce qui pourrait paraître un peu facile, surtout avec la musique de Leonard Cohen avec évidemment des titres extrêmement connus,, mais je ne l’ai pas perçue comme telle. Cohen a participé à l'écriture musicale du spectacle avant sa mort et donc il y a quelques chansons inédites et je trouve ça plutôt intéressant. Surtout c'est une pièce construite, d’une belle facture. Revendiquer la pluralité des expressions implique aussi d’ouvrir L’Onde à des formes plus accessibles. Ce n’est pas ce qui m’attire spontanément, mais c’est digne d’intérêt. Il faut éviter de devenir soi-même un monolithe de pensée. La pluralité des genres est essentielle.

DCH : Et du côté des artistes associés ?

Joël Gunzburger : Olivier Dubois, artiste associé, devait présenter deux pièces. Porn me UP ambitieuse et singulière, autour de la sexualité, a malheureusement dû être annulée récemment, faute de partenaires coproducteurs. Ce que je regrette profondément. Ça en dit long sur la frilosité de certains programmateurs face à des propositions audacieuses. C’est une perte, d’abord pour Olivier, dont l’engagement artistique est total, mais aussi pour nous, car nous avions à cœur d’accompagner cette aventure jusqu’au bout. Heureusement, la seconde pièce, Mémoire d’une seigneur, sera bien présentée. Il s’agit d’une relecture puissante d’une œuvre antérieure, initialement conçue pour cinquante amateurs et un danseur professionnel. À la demande explicite de femmes, Olivier a accepté de revisiter cette pièce en inversant le prisme : cinquante amatrices et une danseuse professionnelle investissent le plateau. Ce n’est pas un simple changement de distribution, c’est une reconfiguration profonde du regard, du geste, de la mémoire collective. C’est un rendez-vous à ne pas manquer.

DCH : Quelle est votre vision du théâtre dans la cité ?

Joël Gunzburger : théâtre est un lieu de citoyenneté. Il rassemble des individus, des sensibilités, des réalités. Chaque spectateur vient avec son quotidien, ses préoccupations, ses espoirs. Le théâtre est au centre de la cité, au sens politique du terme. Il doit être un espace de pluralité, de confrontation bienveillante, de pensée libre. Je suis préoccupé par le conformisme ambiant, par la montée des violences, y compris dans des mouvements qui revendiquent une société sans violence. Le théâtre doit rester un lieu de complexité, de nuance, d’échange. Je ne crois pas qu’on puisse diriger un théâtre sans s’intéresser profondément au territoire, à ses habitants, à leurs réalités. Programmer, c’est dialoguer. C’est croire que l’art peut transformer, déplacer, révéler.

Propos recueillis par Agnès Izrine le 28 octobre 2025

Festival Immersion Danse du 11 au 21 novembre 2025
L’Onde – Théâtre Centre d’Art à Vélizy-Villacoublay


Image de preview : 3h33 in my room de Chris Fargeot et Ulysse Zangs © David Le Borgne

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