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Diptych: The Missing Door and The Lost Room de Peeping Tom

Alors qu’elle fête ses vingt-cinq ans, la compagnie belge Peeping Tom présente au Théâtre du Rond-Point Diptych: The Missing Door and The Lost Room et nous fait frissonner de peur autant que de plaisir.

Créés avec le Nederland Dance Theater respectivement par Gabriela Carrizo et Franck Chartier entre 2013 et 2015, The Missing Door et sa suite The Last Room ont été repris en 2020 par leur compagnie Peeping Tom et réunis dans un diptyque. De celui-ci, présenté aujourd’hui au Théâtre du Rond-Point, exhale tout ce qui fait l’absolue spécificité de la troupe. Un théâtre sans parole auquel se mêle une danse époustouflante de physicalité à la limite de la contorsion, des décors hyperréalistes qui pourtant cachent de nombreuses surprises et semblent dotés de leur propre vie, un univers cinématographique étrange et angoissant mâtiné de touches d’humour, une manière de plonger dans la pensée humaine, dans les désirs inavoués et les pires cauchemars de notre subconscient.


The Missing Door

Le huis-clos d’un salon, des murs d’un gris tirant sur le vert, une fenêtre carrée, quatre portes. Près d’une petite table, un homme inanimé est assis sur une chaise. Une femme, face contre terre, git au sol. Nous sommes Au théâtre ce soir mais David Lynch plus que Feydeau tire les ficelles, en témoigne d’emblée la bande son angoissante. Un domestique entre, traîne le corps inanimé par les pieds pour l’évacuer, nettoie la table et le sol. Et comme rien ne respecte la logique chez Peeping Tom, c’est en faisant ce geste qu’il révèle le sang auparavant absent alors que son chiffon prend vie et lui échappe.

Lorsque l’inanimé se réveille, que la disparue réapparait et que débarque une soubrette, nous comprenons que vont nous être révélés les instants ayant précédé la scène de crime inaugurale. Mais plutôt que dans un enchaînement d’événements, c’est dans la psyché torturée des personnages que nous plongeons, leurs fantasmes et phobies étant agencés comme si nous assistions à leurs rêves éveillés. Mettre ou enlever une veste oblige à d’aussi merveilleuses qu’effrayantes contorsions ; les portes grinçantes et claquantes ne s’ouvrent que lorsqu’elles le désirent, à moins qu’elles ne soient actionnées par la jambe mouvante, du sol à son oreille, de la femme affalée dans un sofa ; un jeune couple, elle figée comme un mannequin de cire et manipulée par son partenaire, danse dans un duo d’une beauté à couper le souffle qui la voit s’envoler et plonger dans les airs.

The Lost Room

Après un changement de décor intégralement réalisé à vue, nous découvrons une chambre spacieuse aux murs recouverts de boiseries, dotée d’une penderie et d’une large porte-fenêtre donnant sur un balcon. La soubrette parfait un lit aux draps blancs impeccables et au couvre-lit bleu marine, amène et arrange des fleurs au son de Cry me a river qui s’échappe d’une radio ancienne. Une fois le tableau qui trône au-dessus de la couche remis droit et les derniers agencements opérés, nous retrouvons nos personnages. La magie comme le cauchemar peuvent à nouveau opérer.

Après s’être éveillée notre ancienne morte, d’abord confortablement bordée, tente par tous les moyens de s’enfuir tandis que son mari s’évertue à l’en empêcher. Las, elle finit par disparaître derrière la porte-fenêtre tandis que le lit, lui, semble prendre vie et respirer, sa couverture se gonflant et se dégonflant à intervalles réguliers. Un jeune couple en sous-vêtements s’en extraie, leurs deux corps emmêlés et mouvants dans une longue et superbe étreinte. The Lost Room multiplie à son tour les scènes angoissantes : un bébé pleurant est arraché des bras de sa mère, le jeune homme se promène avec la tête de sa compagne sous le bras, la penderie cache une horde de corps qui cherche à engloutir celle qui ouvre ses portes, mais distille également quelques éclats de rire. Pour ajouter à la confusion propre aux rêves, plusieurs espaces temps y cohabitent : les deux couples apparaissent en effet n’en être qu’un séparé par quelques années, ce qui ne les empêche nullement de danser ensemble.

L’art d’instiller le frisson

Diptych est une pièce qui distille le trouble de façon permanente. Dans The Missing Door comme dans The Lost Room, un projecteur tout droit sorti d’un plateau de cinéma apparaît et vient braquer un personnage, floutant un peu plus encore la frontière entre fantasme, rêve, réalité et fiction. Les surprises, permises par l’inventivité de Gabriela Carrizo et Franck Chartier et par l’ingéniosité de leurs décors, y sont multiples et délicieuses, qu’elles visent à nous angoisser ou à nous faire sourire. Et si nous sommes pris de bout en bout dans les frissons de leur étrange univers, c’est aussi grâce à une bande son très cinématographique qui accélère ou ralentit, hoquette, est envahie par des bruitages, des détonations qui nous font sursauter. Et bien sûr grâce aux sauts vertigineux, aux étreintes folles et à la totale maîtrise de ses interprètes remarquables.

Delphine Baffour
Vu le 10 septembre au Théâtre du Rond-Point.

Jusqu’au 14 septembre au Théâtre du Rond-Point, Paris, le 17 mars au Tangram, Évreux, les 20 et 21 mars au Volcan, Le Havre.  

Un spectacle de Peeping Tom
Création et mise en scène : Gabriela Carrizo, Franck Chartier
Interprètes : Konan Dayot, Fons Dhossche, Alba de Miguel, Panos Malactos ou Akira Yoshida (en alternance), Alejandro Moya, Fanny Sage, Lucia Burguete Sierra, Eliana Stragapede, Wan-Lun Yu

Collaboration artistique : Thomas Michaux

Dramaturgie sonore : Raphaëlle Latini

Composition sonore et arrangements : Raphaëlle Latini, Ismaël Colombani, Annalena Fröhlich, Louis-Clément Da Costa, Eurudike De Beul

Création lumière Tom Visser

Création décors : Gabriela Carrizo et Justine Bougerol

Costumes : Seoljin Kim, Yichun Liu, Louis-Clément Da Costa

Création costumes : Sara van Meer, Lulu Tikvosky, Wu Bingyan (stage)

Coordination technique : Giuliana Rienzi et Pjotr Eijckenboom(création)

 

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