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« Hors Normes » de Claude Brumachon
Une pièce absolument extra-ordinaire signée Claude Brumachon, à rebours de toute idée préconçue, sur la vie, sur la mort et sur la chorégraphie. Un spectacle engagé sur la liberté de création.
Comment qualifier Hors-Normes, sauf à dire que c’est certainement la pièce la plus déjantée de Claude Brumachon, « hors norme » à tout point de vue – à commencer la chorégraphie. Car c’est une pièce écrite « lache » dans laquelle chacun garde son autonomie tout en s’inscrivant dans ce canevas qui fait volontiers penser aux immenses toiles de Claude Viallat, ou aux tissus d’Olga de Amaral. La scénographie, qui transforme une chaise banale en trône improbable avec ses branchages qui les hérisse, ou ces bois en forme de tipi, a également quelque chose de l’Art brut. Et la création de Brumachon a aussi cette accointance avec cette forme artistique en ceci qu’elle excède les attendus d’une œuvre « culturellement informée ». Dit plus simplement : Hors-Normes sort des sentiers battus car Claude Brumachon, et ses complices se moquent totalement des codes artistiques en cours. Ils ne cherchent pas à faire bien. Ils cherchent à dire vrai.

Mais alors, de quoi est tissée cette pièce ? De solos fluides et aériens, comme celui d’Ernest Mandap, mais qui se transforme en Haka d’enfer, de trios où l’on s’enlace, où l’on se jette, où l’on s’attrape, de tremblements et de fureurs, d’une animalité sauvage, de moments d’immobilité qui signent la fin d’un monde, une présence de la mort, qui nimbe la pièce d’une certaine noirceur contrebalancée par des éclairs d’humour ou de rage. Benjamin Lamarche penché vers le sol ressemble à l’Ange Lucifer en pleine chute ou nous livre un magnifique solo aussi alerte que charnel. Fabienne Donnio endosse le personnage d’Antigone (d’Anouilh) et ses aspirations, Elisabetta Gareri en robe courte et bas noirs chante Bella ciao. Benjamin Lamarche jette des revues sur les oiseaux en disant « espèce en voie de disparition » « menacée » « vulnérable » et Ernest le parodie en hurlant « artistes en voie de disparition », « subvention : menacée », « spectacle : vulnérable »… On dirait une succession d’’instantanés, de météo psychique et physique des danseurs et danseuses… Désarticulés, passionnés, hébétés, parfois on dirait des zombies. S’infiltre alors dans Hors-Normes une atmosphère un peu désabusée qui semble contempler une humanité en perdition, un monde dysfonctionnel, où se téléscopent horreurs passées et présentes.
Galerie photo © Stephane Bellocq
Et puis ça repart, ça enchaîne, ça trouble et ça étonne. Ça balance tout sur le plateau, et surtout ça danse. Claude Brumachon après être passé, enveloppé dans une couverture multicolore tel un vieux chef amérindien, revient dans une robe bariolée orange, blanche et mauve absolument inoubliable, follement extravagante. C’est une pièce qui se dresse seule en face du monde, comme Antigone, irréductible à la raison ordinaire. C’est une pièce qui se fiche de la bien-pensance et des diktats de la forme, de l’époque, qui revendique une liberté créatrice et peu importe le qu'en-dira-t-on.
Et de cris en chants, d’étreintes en chocs, la pièce se poursuit, le monde s’effondre. Antigone dit « Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent ». Et soudain tout vrille.
Sur Dalida (Laissez-moi danser) les cinq interprètes reviennent avec une énergie à tout casser, tandis que filent des chansons sur la danse, de la plus belle à la plus ringarde, de la plus amusante à la plus sentimentale… finisssant par un duo époustouflant entre Brumachon et Lamarche. Bien sûr ! Hors-Normes ne parlait que de ça. D’amour et de danse, deux absolus qui ne souffrent aucune compromission, et d’amour de la danse.
Mais surtout et plus que tout, pour son ultime création (?), Claude Brumachon avec cette pièce en forme de patchwork a composé une sorte de « portrait chinois » de lui-même, particulièrement juste, sincère et forcément émouvant.
« Faites comme moi. Faites ce que vous avez à faire. Mais si vous êtes un être humain, faites-le vite. Voilà tout ce que je vous demande. » dit Antigone.
Brumachon l’a fait. Bien.
Agnès Izrine
Le 7 septembre 2025, Festival Le Temps d’Aimer, Casino, Biarritz.
En tournée :
Le 12 septembre 2025 – Parc de Bel Air – Vertou (44), le 26 novembre 2025 – MAD-Jean Moulin- Limoges à 20h, le 29 novembre 2025 – la Ferme de Villefavard (87)
Distribution
Chorégraphie : Claude Brumachon
Interprètes : Claude Brumachon, Fabienne Donnio, Elisabetta Gareri, Benjamin Lamarche, Ernest Mandap
Lumières : Claude Brumachon, Benjamin Lamarche merci à Florian Gueguen
Réalisation bande sonore : Ernest Mandap
Costumes : collectif
Scénographie : Claude Brumachon, Benjamin Lamarche, Ernest Mandap
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