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Entretien : Tiago Guedes, directeur artistique de la Biennale de la Danse de Lyon

Du 6 au 28 septembre, la danse investit la ville de Lyon, sa métropole, puis toute la région Auvergne-Rhône-Alpes pour une 21e édition de la Biennale de la Danse de Lyon. Pour sa première Biennale en tant que directeur artistique, Tiago Guedes propose une édition foisonnante, pensée comme un écosystème chorégraphique. Spectacles, rencontres, installations et projets participatifs s’entrelacent dans une programmation ouverte sur le monde et sur les corps.

DCH : Cette Biennale semble être une véritable poupée russe, une structure foisonnante où les projets s’emboîtent les uns dans les autres. Comment avez-vous conçu cette architecture complexe ?
Tiago Guedes : C’est effectivement une image très juste. Il faut dire que cette édition est ma première en tant que directeur artistique. Notre ambition était de concevoir une Biennale qui se présente comme un feuilletage. Je défends l’idée qu’un grand événement de danse ne doit pas se limiter aux spectacles, — même si nous en proposons quarante, dont vingt-quatre créations. Il doit aussi offrir des espaces de réflexion, de rencontre, d’immersion dans les univers des artistes.

DCH : Est-ce la raison pour laquelle vous avez développé de nombreux partenariats inédits pour cette éditon 2025 ?
Tiago Guedes : C'est à la fois une réponse à un contexte financier plus difficile, qui nécessite de réunir les forces vives œuvrant à la diffusion de l’art chorégraphique, mais c’est également mon ADN artistique. J’ai toujours apprécié de travailler en partenariat avec d’autres, j’aime la co-construction et j'aime que la danse puisse, à travers ces mises en commun, influencer les autres théâtres, les autres disciplines.

Tiago Guedes : Dans le cadre de la saison Brésil-France 2025, la Biennale de la danse propose un généreux focus autour de la création brésilienne. Intiulé « Brésil Agora » il joue sur le double sens du mot : « agora » qui signifie en portugais « maintenant », mais aussi « lieu de rencontre » dans toutes les langues. C’est une actualisation de la danse brésilienne contemporaine, avec certains artistes n’ayant jamais été présentés en France, ou des chorégraphes d’exception, comme Lia Rodrigues qui ouvre la Biennale. C’est aussi un clin d’œil à la première édition du Défilé de 1996, entièrement brésilienne créée par Guy Darmet de retour de Rio ! Nous avons d’ailleurs invité un chorégraphe brésilien, Diego Dantas, directeur du centre chorégraphique de Rio, qui anime un groupe du Défilé 2025 !


Tiago Guedes : Nous avons également un partenariat avec le Centre Pompidou, autour de trois artistes : Eszter Salamon, Gisèle Vienne et Dorothée Munyaneza. Chacune est associée à une autre discipline : arts visuels, musique, littérature. Gisèle Vienne, par exemple, proposera une nuit musicale au Sucre, un club lyonnais. Dorothée Munyaneza investira la Villa Gillet avec un parcours mêlant création, concerts et tables rondes. Eszter Salamon présentera une installation immersive filmée en Norvège avec les danseurs du ballet Carte Blanche.

DCH : Vous avez également noué avec le Festival d’Automne à Paris, un projet autour de Pierre Boulez ?
Tiago Guedes : Dans le cadre du centenaire de Boulez, nous avons invité Tânia Carvalho dont le rapport à la musique est viscéral, à collaborer avec les conservatoires de Lyon et Paris, les musées des beaux-arts, et le Festival d’Automne. Elle travaillera avec des étudiants en musique et danse pour créer une œuvre chorégraphique inspirée de l’univers musical de Boulez.

DCH : Cette édition semble aussi marquée par l’ouverture de nouveaux lieux…
Tiago Guedes : En effet. La Biennale s’inscrit dans une démarche métropolitaine d’occupation de lieux transitoires. En 2023, nous étions aux usines Fagor aujourd’hui transformées en logements. Cette année, nous investissons les Grandes Locos, anciennes halles industrielles de la SNCF, et la Cité Internationale de la Gastronomie, au cœur de Lyon. C’est dans ce lieu emblématique que nous avons créé le Forum un nouveau projet inspiré par des pratiques extra-européennes. Nous avons invité cinq curateurs originaires d’Australie, Taïwan, Mozambique, Brésil et États-Unis, chacun ayant sélectionné un artiste de son territoire. Ensemble, ils ont défini des thématiques sociétales fortes. Par exemple, les artistes australiens aborigènes travaillent sur « danse, climat et terre contestée ». Au Brésil, le thème est « la peur, la danse et tout ce qu’il y a entre les deux », en lien avec les corps en danger et la danse comme réponse.

Tiago Guedes : Ces projets ne se limitent pas à des spectacles. Ils incluent des expositions, des projets participatifs, des tables rondes. Un même artiste peut intervenir dans une conférence, être présent dans une expo et se produire sur scène. J’aime cette approche rhizomatique, qui crée des connexions multiples et enrichit la diversité de la Biennale.
Aux Grandes Locos, nous présentons quatre projets dans des versions adaptées à ce lieu hors-norme, qui comprend des halles de 100 m2 ou 150 m2 : Crowd de Gisèle Vienne, dans une version adaptée ce nouvel espace ; F*cking Future de Marco da Silva Ferreira, en quadrifrontal ; une création participative du collectif AR, un collectif lyonnais qui mélange la musique, la danse et la lumière ; et une journée immersive « All Styles » dédiée aux danses hip-hop et voguing.


Les Grandes Locos étant à La Mulatière, La Cité Internationale de la Gastronomie devient notre meeting point, en plein cœur de ville dans l’ancien Hôtel Dieu. On y trouve donc le Forum, des ateliers, deux spectacles brésiliens — Cheb de Filipe Lourenço et Répertoire 2 de Davi Pontes et Wallace Ferreira — ainsi qu’un café et une librairie. Donc c'est un lieu de grande diversité d'approches de la danse.

DCH :Comment avez-vous sélectionné les 24 créations de cette édition ?
Tiago Guedes : Nous avons choisi de ne pas suivre une approche thématique stricte, mais de refléter la diversité esthétique et narrative de la danse contemporaine. Les créations vont du solo au grand format, du travail générationnel à l’émergence de jeunes chorégraphes.
Philippe Decouflé, explore le passage du temps et le vieillissement dans Entre-Temps ; Emmanuel Eggermont, inspiré par le travail de Raimund Hoghe, construit une pièce à partir des références artistiques de ses interprètes.

Avec à l’ombre d’un vaste détail hors tempête  Christian Rizzo s’attaque aux puissances invisibles du quotidien; François Chaignaud, Nina Laisné et Nadia Larcher imaginent une œuvre hybride, Último Helecho, mêlant danse, chant et musique, qui sera présentée à l’Opéra de Lyon. Tous ces spectacles interrogent les hiérarchies entre disciplines et inventent de nouveaux formats. Nous présentons aussi des jeunes chorégraphes comme Simon Le Borgne ou Andréa Givanovitch. Et plusieurs artistes brésiliens sont à découvrir, comme Davi Pontes et Wallace Ferreira, ou Alejandro Ahmed qui interrogent les corps en alerte, sans oublier Lia Rodrigues, qui ouvre la Biennale avec Borda, une œuvre puissante et inédite en France. Ce sont des regards très différents sur le monde, et c’est ce qui fait la richesse de cette édition.
Nous avons également voulu jouer sur les échelles : des grandes salles comme la Maison de la Danse ou l’Opéra, mais aussi des lieux plus intimistes, des espaces publics, des places de marché. Cette diversité d’approche est essentielle pour moi.

DCH : Comment avez-vous abordé votre premier Défilé en tant que directeur ?
Tiago Guedes — C’est un défi complexe mais passionnant. Le Défilé est thématisé, et cette année nous avons choisi « Danses recyclées » : comment les chorégraphes peuvent transformer les danses de société — danses de groupe, danses populaires ou traditionnelles, danses sociales — en une parade festive pour accueillir les 150 000 spectateurs de cet événement qui finit en un immense dancefloor place Bellecour, animé par 360 de Mehdi Kerkouche.

Dans cette édition, nous avons voulu casser les cloisons entre les chorégraphes de spectacles et ceux du défilé. Par exemple, Aina Alegre présente sa création Fugaces et anime aussi un groupe du défilé. Tom Grand Mourcel travaille avec un groupe de Clermont-Ferrand sur les danses club. Et, comme je le signalais, nous avons Diego Dantas, qui dirige un groupe particulier. En effet, le chorégraphe brésilien spécialiste de la samba accueille des participants qui ne peuvent s’engager sur six mois, contrairement aux autres groupes. En deux semaines, ils préparent leur participation au défilé du 7 septembre. C’est une manière plus accessible de s’impliquer. Ce sera le groupe de clôture, invitant tout le monde à danser en mettant en avant la rencontre des corps pluriels comme moteur de création !

DCH : Et pour les spectacles en diffusion, quels ont été vos critères de sélection ?
Tiago Guedes : L’idée était d’ajouter de la texture à la programmation. Ces spectacles sont des coups de cœur récents ou plus anciens, comme DOG DAYS ARE OVER de Jan Martens ou Crowd de Gisèle Vienne, dans des versions inédites, recréées spécialement pour la Biennale de Lyon. Nous avons aussi une série « New Voices » mettant en lumière de jeunes artistes comme Rebecca Journo ou Mercedes Dassy, qui apportent des visions singulières de la danse contemporaine. Dans l’espace public, nous présentons trois spectacles :  Rue de Volmir Cordeiro, Cheb de Filipe Lourenço, et Woods/Bosque de Clarice Lima. Ce sont des œuvres que nous avons vues, aimées, et qui fonctionnent bien dans des contextes ouverts.
 

DCH : Est-il difficile de créer une dynamique festivalière dans une ville comme Lyon ?
Tiago Guedes : Certes, Lyon est une grande ville avec des théâtres dispersés. Mais la Biennale existe depuis 1984, elle est bien ancrée. En septembre, les habitants attendent le Défilé, les spectacles, avec une véritable effervescence. Nous avons déjà 800 professionnels inscrits — programmateurs, agents, compagnies — ce qui montre l’ampleur de l’événement. Nous avons aussi imaginé le Club Bingo nomade, avec une programmation musicale, pour prolonger les rencontres après les spectacles. Il s’installe dans trois lieux différents de la ville.


DCH : En quoi le prolongement de la Biennale en région Auverge-Rhône-Alpes jusqu’au 17 octobre est-il important pour vous ?
Tiago Guedes : C’est capital à mes yeux. De nombreux partenaires en région profitent de la Biennale pour programmer des projets qu’ils ne pourraient pas accueillir autrement. Les artistes présents à Lyon peuvent ensuite se produire à Clermont-Ferrand, Grenoble, ou dans des villes plus petites comme Sallanches ou Cusset. Cela permet aux théâtres d’ouvrir leur saison avec la danse, ce que je défends activement.
Pour les artistes, c’est tout aussi précieux : ils ne viennent pas seulement pour une date à Lyon, mais pour une tournée. Cela renforce nos liens avec les partenaires régionaux, certains accueillent même des artistes en résidence. C’est une manière de poursuivre l’impact de la Biennale au-delà de ses dates officielles.

DCH : C’est impressionnant. Combien de partenaires avez-vous, au total ?
Tiago Guedes : 57 partenaires artistiques, dont une vingtaine en région et métropole. C’est une Biennale très connectée, très intense.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Biennale de la Danse de Lyon du 6 au 28 septembre 2025.

Photo de preview : Blandine Soulages

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