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Les Ballets de Monte Carlo : Kylian, Forsythe et une création de Marco Goecke
Une soirée des Ballets de Monte Carlo sans une seule pièce de Jean-Christophe Maillot ?
La petite mort, et la grande…
Dans Petite mort de Kylian, ballet pour six femmes, six hommes, six épées et cinq robes baroques noires et rigides, la troupe ne semblait pas encore avoir assimilé jusqu’au bout le jeu avec les épées et l’unité requise pour produire tout le trouble que la « petite mort » évoquée peut procurer.
À la première en tout cas, le bel effet d’avoir l’impression de voir, à travers un kaléidoscope, un seul homme manipuler son arme dans une sorte de conscience métaphysique de la mort, ne s’est pas produit. Avec ses belles personnalités, la troupe était mieux à l’aise dans la seconde partie, avec ses duos sensuels évoquant l’apesanteur.
Images de rêves
Avec New Sleep de Forsythe, créé en 1987 pour le San Francisco Ballet, c’est une autre idée de jeu qui entre en scène, des fantaisies qui font référence et qu’on retrouva plus tard chez Decouflé et très récemment chez Sharon Eyal (House) et Richard Siegal (Metric Dozen), dans une danse basée sur la marche et les sauts, arpentant l’espace de façon géométrique et en costumes noirs. Chez Forsythe, ces images, énigmatiques sinon cauchemardesques, se réfèrent autant au film muet et à la comédie, qu’à l’absurde et à l’horreur.
Un soupçon de « grande mort » planait déjà sur Petite mort, à travers ces costumes sombrement élisabéthains et totalement figés qui apparaissent à un moment chez Kylian. Soupçon renforcé par certaines images obsédantes chez Forsythe. Mais c’est chez Marco Goecke que le voyage se termine et que la fin se concrétise.
Soupirs
Sigh (Soupir) dynamite les discours de Kylian et Forsythe vus en première et deuxième partie de la soirée. Chez Goecke, pas de moments de respiration, pas d’évasion, pas de rêverie. Pas d’espace pour ça, littéralement. Chaque danseur s’agite, violemment, comme dans une cellule d’isolement.
Une pièce de Goecke, avec ses mouvements répétitifs extrêmement rapides, carrément fiévreux, avec son mélange d’hystérie et d’extase, donne l’impression que le ballet est traversé par le Krump. Les personnages, si on peut utiliser le terme, renvoient à l’addiction, à un conflit profond entre le vouloir-vivre et le pouvoir-dire. Ils rappellent l’univers de la dramaturge Sarah Kane, ou bien un Woyzeck contemporain.
Joutes gestuelles
Le langage de Goecke est profondément ancré en son temps, et les danseurs, à Monte Carlo comme ailleurs, sont des gens de leur époque. Aussi, ils se jettent à corps perdu dans les joutes gestuelles de Sigh. Ce travail-là, où le développé n’existe pas, ne vit que par la puissance de la répétition et est impossible à documenter par la seule photo. Il faudrait approcher ces interprètes par le détail, par l’expression sur les visages éprouvés, par leurs tensions intérieures.
Les soupirs de Sigh sont assourdissants. L’évidence est là : Une création conçue sur mesure pour la compagnie trouve un rapport aux danseurs nettement plus organique et immédiat, d’autant plus qu’ils sont ici en même temps le matériau créateur et que Goecke n’en est pas à sa première création pour les Ballets de Monte Carlo.
Thomas Hahn
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