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« MÁM » : Michael Keegan-Dolan, la fête à l’irlandaise
Une symbiose très dansante entre traditions et monde contemporain, à travers le regard d’une jeune fille.
De quoi la culture irlandaise est-elle le nom ? Une part de lien avec les racines, une part de liberté... Bartabas avait consacré son deuxième Cabaret de l’exil aux Irish travellers, communauté nomade sur ses terres insulaires. Oona Doherty explore dans Specky Clark [lire notre critique] une mythologie irlandaise qui a priori ne concernait pas cette fille de Belfast et citoyenne britannique. Mais les terres irlandaises, entre vents et marées, monts et mythes, sont une promesse d’authenticité au même titre que les terroirs basques ou sardes. Un dernier refuge face à l’uniformisation ?
Michael Keegan-Dolan et sa compagne française, la danseuse Rachel Poirier, ont quitté l’urbanité londonienne il y a quelques années pour s’installer sur la péninsule de Dingle, très, très à l’ouest de l’Europe. Ils n’y vivent même pas dans un village, mais carrément au sommet d’une colline. Après sa carrière londonienne et internationale de chorégraphe adaptant quelques classiques du répertoire, Keegan-Dolan retrouve donc ses racines.
Racines et ouverture
À leur arrivée, lui et Poirier ont pu observer de près les coutumes, baigner dans la langue et la culture gaélique et affronter la violence des tempêtes. Pas étonnant que leur première pièce créée au sein de leur demeure et leur compagnie (au nom de Teaċ Daṁsa – Maison de la danse) interroge la tradition et la communauté dans ce contexte. Mais pas sans amener l’esprit cosmopolite de la métropole. Tradition et exploration s’innervent et se soutiennent mutuellement dans MÁM, un titre qui signifie Col de montagne.
D’abord, une jeune fille est assise sur une table de cuisine et un homme affublé d’une tête de bouc joue du concertina irlandais. Ce virtuose, vedette de la musique traditionnelle en son pays, se nomme Cormac Begley. L’avenir et les racines sont réunies. La robe blanche de la fille préfigure-t-elle un mariage ou veut-elle pérenniser l’innocence enfantine ? Énigmatique, entre innocence, hypnose, sommeil, mort et envolée finale dans une tempête toute irlandaise, la jeune présence semble ouvrir des portes vers d’autres mondes. Ce rôle était à l’origine interprété par la fille de Poirier et Keegan-Dolan. Aujourd’hui, seule la mère continue à danser, incarnant la génération des ainés.
Crédit photo © Ros Kavanagh
Je suis toutes les fêtes…
MÁM est une pièce à tiroirs où par deux fois un rideau tombe et donne à voir une communauté supplémentaire. La première révélation fait apparaitre la société des convives rassemblés, très encadrés par leurs rythmes, coutumes et croyances. Ils se lancent dans une série de danses en couple et en groupe, où l’énergie de la fête se mêle à ce qui pourrait être une première communion ou bien un rassemblement funéraire. Et on pourrait imaginer tant d’autres raisons appelant villages et familles à se réunir. On souhaiterait parfois un parcours plus condensé de la soirée, mais ces fêtes traditionnelles pouvant s’étendre dans le temps, elles traversent naturellement des états et énergies modulables.
Quand tombe le second rideau de fond, apparaissent les musiciens de l’ensemble international Stargaze, qui se laissent inspirer par l’ambiance irlandaise, mais interprètent, nichés en hauteur et en fond de scène, un répertoire cosmopolite qui s’étend du classique au jazz et invite le concertina dans un univers rock. Cette célébration à l’objet indéfini, entre col de montagne et abîme mémoriel, entre mythologie ancestrale (effrayants masques noirs du début) et Tanztheater à la Pina Bausch (évanouissements, regard ironique sur quêtes d’amour et normes sociales, sans parler de toutes ces chaises…) joue sur les racines culturelles comme support pour mieux inviter les vents du monde contemporain à balayer la surface. Musique et danse sont les énergies qui fomentent cette symbiose entre un col de montagne et l’omniprésence du monde. Les vrais cosmopolites seraient-ils ceux qui amènent l’esprit des métropoles dans les villages ?
Thomas Hahn
Paris, Théâtre de la Ville Sarah Bernhardt, le 4 décembre 2024
Distribution
Direction artistique et chorégraphie Michael Keegan-Dolan
Musique Cormac Begley et Stargaze
Scénographie Sabine Dargent
Lumières Adam Silverman
Costumes Hyemi Shin
Son Helen Atkinson
Interprètes : Imogen Alvares, Cormac Begley, Romain Bly, Tyler Carney, Kim Ceysens, Lisa De Boos, Aki Iwamoto, Zen Jefferson, Mayah Kadish, Amit Noy, James O’Hara, Keir Patrick, Rachel Poirier, Connor Scott, David Six, James Southward, Carys Staton, Aart Strootman, Maaike Van der Linde and Marlies Van Gangelen
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