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Playground 2024 : jeux de ballon et de peinture
Sandrine Lescourant, Lisbeth Gruwez, Amala Dianor et Sylvie Balestra ont joué le jeu de la rencontre. Avec bonheur.
Initié par les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis il y a trois ans, Playground est un festival jeune, plus jeune même que la plupart de ses spectateurs. Par son existence et sa richesse, Playground met en évidence à quel point les chorégraphes font aujourd’hui du spectacle pour enfants leur terrain de jeu. Et ils ont raison, doublement même, assurant ainsi les finances de la compagnie et le contact avec de futures générations de spectateurs. Le court terme rejoignant le long terme, le bonheur est complet dès que le jeune public s'y retrouve. Parti de la Seine-Saint-Denis, ce bouquet chorégraphique a poussé les portes de Paris, faisant escale au Carreau du Temple et à l'Opéra Bastille.
Lescourant, la rencontre « en vrai »
Quand Sandrine Lescourant et les trois danseuses qui l'accompagnent dans RAW investissent le plateau et la salle du Théâtre de Garde-Chasse, le public réagit aux rythmes sortant des enceintes comme dans un concert de rap. Plus de deux cents enfants sont venus avec leurs professeurs et mettent une ambiance d'enfer. RAW, c'est « cru » ou « brut », en anglais. Et pourtant, le quatuor féminin déploie autant de finesse que d'énergie, en dansant comme en s'adressant aux spectateurs.
Elles parlent d'elles et de la communauté hip hop, sans fard ni filet, parfois au deuxième degré: « Avez-vous lu la note d’intention ? C'est super important ! Le hip-hop a évolué, maintenant il y a des créations lumières etc. » C'est vrai, mis à part qu'à l'époque où la danse urbaine commença à devenir danse d'auteur, ces jeunes-là n'étaient pas nés. Depuis, les enjeux se sont déplacés, du bitume vers le virtuel. « Il n'y a plus beaucoup d'espaces où on peut se rencontrer en vrai » lance Lescourant à son public, faisant allusion aux médias dits « sociaux ». Aussi RAW révéla le sens originel, le vrai, de « rencontres chorégraphiques ».
Gruwez Action painting
Le vrai « playground » se révéla également. Et forcément, l'occasion fut la venue de Wasco! au Carreau du Temple, annoncé comme une sorte de happening, une orgie de peinture portée par une dizaine d'enfants.
Des enfants sur le plateau ! Lisbeth Gruwez signe là, comme tant d'autres actuellement, sa première création tous publics. Le buzz autour de Wasco!, mélange très attendu entre action painting et free jazz, attira un public de tous horizons, excité par la perspective d'un happening libératoire. Et l’on ne fut pas déçu, loin de là. L'immense toile peinte au sol par moult roulades et glissades fut tout simplement éblouissante.
Seulement, l'esprit libérateur fut recouvert d'une orchestration minutieuse, les enfants démontrant leurs acquis chorégraphiques faits au cours de cette création. Leur précision, leur coordination et leur assurance en jouant avec les frayeurs des premiers rangs — face aux gouttes de peinture volant sur le plateau— n'eurent rien à envier aux professionnels. Le paradoxe de Wasco! est d’insister sur une écriture chorégraphique, là où elle paraît plus dispensable que jamais. Le but de l’opération n’était-ce pas de surprendre l'ordre établi, plus que de hisser en l'air une fresque à rendre jaloux le plus fervent des fauvistes. ?
Des crayons en cire sur une toile en papier à l’orgie de peinture, Wasco! fait éclater une peinture jazzy. « Le jazz, c'est aussi la liberté. Nous tenons absolument à ce qu'elle soit présente dans notre spectacle », dit le compositeur Marten van Cauwenberghe qui partage la direction artistique — de ce projet comme de la compagnie Voetvolk — avec Gruwez. Mais cette liberté s'exerce ici sous le précepte d'Elisée Reclus selon lequel l'anarchie n'est pas le chaos, mais « la plus haute expression de l'ordre ». Ce qui crée, appliqué à l’action painting de Wasco!, un espace de liberté apparente, en réalité orchestré à l'extrême dans chacun de ses gestes chorégraphiques.
Les Coquilles d'Amala
« Nous avons même testé le spectacle en crèche, face à des enfants de neuf mois », explique Amala Dianor à l'Opéra Bastille, après la représentation de Coquilles. Avec ce duo, il s'adresse en effet à un public à partir de douze mois. Et a trouvé, en Mélane Cathala-Di Fabrizio, toute en finesse dans le rôle de la mante religieuse, et Brian Kpadja, resplendissant d'énergie facétieuse et animale, un couple enchanteur.
Galerie photo © Frédéric Lovino
Entre la ballerine — très belle découverte de Dianor au CNDC d'Angers — et le B-Boy se joue la rencontre des univers cinétiques comme celle entre l'homme et la femme. Où c'est ici la femme qui mesure une tête de plus et mène le jeu. Dans sa scénographie simple et efficace de quatre parapluies manipulés par les protagonistes, Coquilles est un petit bijou, un songe d'une nuit d'été à l'exotisme poétique qui, tout en jouant parfois sur les codes de la revue, remue les stéréotypes de genres avant même qu'ils puissent contaminer les petits cerveaux.
Le ballon et les rites
Un ballon peut mener la danse. Sous l’égide de la chorégraphe Sylvie Balestra [lire notre entretien], la B-Girl Janice Bieleu se prête aux Rites de passage en footballeuse, en guerrière d'American football, comme en esprit ancestral ou urbain.
À La Briqueterie, le CDCN implanté à Vitry-sur-Seine, elle tourne autour du public disposé en cercle ou s'apprête à tirer un coup-franc. Mais les passages en question ne concernent pas une imaginaire défense adversaire. Par ses frappes de pied, à l’ombre du ballon désormais objet symbolique, Bieleu évoque des rites qui défient les déséquilibres d'un corps en mutation permanente. Elle met en jeu son corps pour rencontrer le pantsula, des danses rituelles ou le saut à la corde. Jusqu'à ce qu'elle dépose son armure américaine au sol pour observer une mystérieuse fumée qui commence à s'en échapper. Jamais pressée, jamais clairement du côté du foot ou de la danse, mais toujours en état de passage et du côté de la rencontre, elle parle d’une urbanité en quête de racines.
Thomas Hahn
Playground 2024, spectacles vus les 19, 20, 21 et 28 novembre 2024
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