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Emmanuelle Vo-Dinh : « MIRARI »
En quatre « rituels » Emmanuelle Vo-Dinh nous fait entrer dans un univers magique et délicat, étrange et sensible.
À jardin, le compositeur et musicien David Monceau tient sa console avec toutes sortes d’accessoires et d’instruments qui, plus tard, nous entraîneront dans nombre de bruissements et de brises marines, de chants d’oiseaux et de froissements, de frondaisons et de fraîcheur, plus vrais que nature… À cour, une drôle de sculpture rouge, fleur ou vulve, très suggestive, borne l’espace de jeu. Au centre, Violette Angé, Alexia Bigot et Emmanuelle Vo-Dinh sont assises de dos.
Très vite, les trois danseuses se déréalisent pour devenir des créatures inconnues en mouvement. Muscles et peau se reconfigurent sans cesse, laissant apparaître de nouvelles perspectives dans nos imaginaires. Ce sont à la fois des paysages abstraits et très réels qui affleurent dans les ourlets de la chair et dans la structure des os – indéniablement des dos de danseuses, avec la trace d’anciennes ailes qui inscrivent un V au creux des omoplates. Vallées et visages se creusent, tandis que se cabre et se courbe l’épine dorsale, que plie l’échine, que le râble s’impose comme un monsieur soucieux. Avec leurs coiffes sur la tête (qui ne sont autres que leurs t-shirts !), elles évoquent des œuvres picturales médiévales tout en mettant en relief les carcasses que nous sommes…
Crédit photo © Laurent Philippe
Et puis changement de décor. Les voilà qui replient le morceau de plastique qui ceignait leurs reins en jolis origamis, tandis que se déploie la chose rouge en tapis (ce qu’elle est réellement !) et qu’un lé noir brillant vient ornementer le plateau. Assises de face sur leurs genoux, elles ont devant elles trois boîtes noires qui laissent fuser une lumière rouge comme un coucher de soleil intérieur. Très asiatique dans son esthétique, jusqu’à la façon incroyable de déployer en éventail sous nos yeux ce qui s’avérera être une couverture de survie, rien ne laisse présager ce qui va suivre, mais qui pourrait être néanmoins une histoire de fantômes chinois ! Ce deuxième « rituel » est un travail de manipulation extraordinaire à travers lequel surgissent esprits et illusions. Des revenants un peu inquiétants et terriblement drôles, à la fois chrysalides et papillons de nuit, avec leurs costumes chatoyants, et leurs bras et jambes qui n’apparaissent jamais où on les attend. Mais surtout, ces personnages sans visages sont prodigieusement expressifs ! Par les seuls mouvements du corps, et un art certain de la marionnette, ils nous font percevoir toute une palette d’émotions, de sentiments et même d’intentions. Nous sommes alors littéralement captivés par cette séquence aussi brillante au sens propre que figuré !
Crédit photo © Laurent Philippe
Mais nous n’avons pas encore tout vu. Après un nouveau changement à vue, voici notre trio qui revient derrière un paravent arachnéen signé Sascha Nordmeyer. Cette fois, le corps paré de mille étoiles, scintillant sous les feux de Françoise Michel, évoquant des oiseaux des mers, des crabes gigantesques ou des araignées diaphanes. Fantasmagorique à souhait, nous voici happés par ces animaux fabuleux, ces chimères rutilantes, entre bijoux précieux et insectes luisants, impressions sous-marines et soleil levant. La scène est absolument merveilleuse, captivante, permettant à nos sens de dériver jusqu’à la suivante… Cette fois, la scénographie lumineuse d’Anette Lenz nous entraîne vers l’obscurité de marais où brillent lucioles et feux follets, le tout renforcé par la composition de David Monceau qui nous fait entendre l’appel monotone du crapaud alyte, nous plongeant dans l’atmosphère de mares ténébreuses. Les corps s’invisibilisent pour ne former plus que des guirlandes et lignes lumineuses, soit l’essence même de la chorégraphie, qui consiste à écrire dans l’espace, des traces éphémères qui font sens.
Crédit photo © Laurent Philippe
C’est du grand art, comme l’ensemble de MIRARI, qui, avec quatre projecteurs, un tapis de yoga, et des couvertures de survie, crée un grand spectacle, un mirage délicieux et sensationnel, au sens premier du terme. C’est aussi un travail d’équipe de tous les instants qu’il faut saluer ici, car on ne peut retrancher le moindre de ses membres de la réussite absolue de ce voyage dans un monde enchanteur et poétique.
Agnès Izrine
Création le 28 novembre 2024, Le Théâtre Saint-Nazaire.
Le 2 décembre 2024 au Havre dans le cadre du Festival Plein Phare IN.
Distribution
conception Emmanuelle Vo-Dinh
chorégraphie, scénographie, interprétation et costumes Violette Angé, Alexia Bigot, Emmanuelle Vo-Dinh
création musicale David Monceau
création lumière Françoise Michel
œuvre plastique rituel 3 Sascha Nordmeyer
scénographie lumineuse rituel 4 Anette Lenz
regard artistique Sabine Macher
direction de production Solenne Racapé
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