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« Fun Times » : Ruth Childs enfonce le clown



Cinquante nuances de fun et de rouge, pour une symphonie du rire, distordue en anti-fun-faronnade.

Pour une première pièce de groupe, la plupart des chorégraphes ascendants choisiraient une dynamique rassurante, propice aux réactions immédiates et libératrices. Ruth Childs, elle, part sur d’autres voies, aux strates multiples, sinueuses mais aussi très prometteuses. L’Anglo-Américaine installée à Genève avait déjà, dans ses solos Fantasia et Blast !, opté pour l’éclatement de la forme et des ambiances.

Transposés en quintette, les éclats d’horreur de Blast ! se transforment en éclats de rire, et surtout en leurs prémonitions ou échos lointains, évitant toute trajectoire directe. Ce cabaret décalé peut déconcerter, sur scène comme dans la salle. Et c’est bien son objet. Le fun, explique Ruth Childs, peut relever de l’amusement comme de la moquerie. Fun Times crée l’espace où l’on s’amuse de l’amusement, ouvrant des portes qui laissent remonter de lointains échos de Blast ! [notre critique].

Galerie photo © Marie Magnin

Fun Tunes

Et plus encore. Quelques vieux os du rire envoient à Childs leurs fantomatiques salutations : Chaplin, Dada, les Marx Brothers, le clown rouge. Mais aussi des lointains cousins comme l'Opéra de Pékin, Pierrot et des réminiscences très états-uniennes puisque Fun Times est aussi un fun tunes hanté tel un opéra contemporain américano-minimaliste que l’on aurait détourné en mode Cabaret Voltaire, grâce aux recherches du compositeur Stéphane Vecchione qui tire des réminiscences symphoniques des accents sonores tout aussi chaplinesques, fun et fins.

Absurdes et burlesques, les cinq larrons rasent les murs, se pavanent à quatre pattes, incarnent des pictogrammes vivants ou envoient quelques piques au ballet et à la danse expressionniste. Tout jubile au 2e degré, des gestes aux mimiques, des projecteurs rouges à la mise en évidence des extincteurs de la salle – pour leur couleur rouge évidemment – ou encore de la moustache très « Groucho » de Bryan Campbell aux yeux éclatants de Karine Dahouindji, des boucles noires de Ha Kyoon Larcher en Charlot 2.0 à l’ordre rigoureux des déplacements, en permanence subverti dans un esprit anarchique et iconoclaste, comme si les lignes d’un Bob Wilson avaient été revisitées par un certain Tex Avery.

Galerie photo © Marie Magnin

Frayeurs écarlates

Le rire et la frayeur font bon ménage, ne songeant jamais à cesser de se charmer, comme pile et face des mêmes paillettes. On ne dissociera pas Dada des horreurs de la guerre et Fun Times se dévoile comme le tourbillon surréel qui serait le dernier recours pour s’accrocher à la vie, l’ultime spectacle que les derniers retranchés en état d’ivresse auraient pu donner sur le Titanic, déjà au fond de l’océan.

Quand Ruth Childs escalade le mur de la salle pour ouvrir la fenêtre sous les décors de fête, elle semble apercevoir, à l'extérieur, d'indicibles horreurs. Et le rire devient un souvenir glaçant. Les costumes ne disent pas autre chose. Derrière les paillettes et le nuancier rose-écarlate pointe un fond noir et ses abîmes. Présences, intensités et rythmes sont orchestrés si finement et avec tant de sens du détournement que cette première pièce de groupe de Ruth Childs semble en appeler bien d’autres.

Thomas Hahn

Vu le 21 novembre 2024 à l'Atelier de Paris, dans le cadre de la Swiss Dance Week du Centre Culturel Suisse

Distribution
Chorégraphie (en collaboration avec les danseur·ses) : Ruth Childs
Danse et performance : Bryan Campbell, Ruth Childs, Karine Dahouindji, Cosima Grand, Ha Kyoon Larcher
Direction technique et création lumière : Joana Oliveira
Recherche et création sonore : Stéphane Vecchione
Assistant·e : Flow Marie
Costumes : Tara Mabiala
Scénographie : Melissa Rouvinet
Œil extérieur : Madeleine Fournier
Coaching vocal : Bertille Puissat

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