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Monaco, Saison d(H)ivers
Rendez-vous de fin d'année chic, Monte-Carlo offre, avec le Monaco Dance Forum une sorte de « saison » d'hiver, resserrée du 11 décembre 2024 au 4 janvier 2025, d'une très grande richesse. Laquelle n'a d'égale que sa diversité.
Le 11 décembre, Monaco ouvre sa traditionnelle saison de ballets, intitulée Monaco Dance Forum, qui dure jusqu'au 4 janvier. Mais, derrière ce « Saison », énoncé un peu passéiste évoquant des usages mondains légèrement désuets, et surtout la Saison d’Hiver des Ballets russes basés à Monte-Carlo aux temps froids, se cache une série de propositions d'une rare diversité. Pour reprendre un questionnement du programme lui-même : « quels sont les points communs entre le déroutement théâtral de Peeping Tom, le flamenco enfiévré d’Israel Galván, le style Gaga d’Ohad Naharin ou encore l’expressivité sans limite des pointes des Ballets de Monte-Carlo ? » ; la réponse tient dans la personnalité du directeur artistique, Jean-Christophe Maillot.
Il faut mesurer la position très singulière du chorégraphe, lequel, outre une compagnie de cinquante danseurs que l'on peut légitimement tenir pour l'une des meilleures actuellement, est également responsable du Monaco Dance Forum, et programmateur des saisons (hiver-été)… Sans compter le reste : un genre de chorégraphe-ministre de la danse de la Principauté.
Pour cette « saison », lui-même justifie l'éclectisme : « J'essaie de proposer un spectre de spectacles assez large pour que tout le public monégasque puisse désirer venir. Ce sont très souvent des gens qui voyagent beaucoup, ils peuvent voir dans le monde entier ce qu'il y a de meilleur. Je me dois de leur proposer quelque chose au niveau de leurs exigences, même si ça n'est pas pour répondre à mon goût personnel ». Et ainsi trouve-ton le magnétisme intériorisé et quasi métaphysique de Galván (12 déc. 2024) rendant hommage à l'Âge d'or du flamenco (la edad de oro), dont chacun sait qu'il est à la fois mythique et tout à fait intérieur, comme une méditation traversant son corps de danseur.
Pour célébrer le vingtième anniversaire de ce spectacle, un classique de son répertoire, donné des centaines de fois dans le monde, Le danseur des solitudes, pour reprendre le titre presque amoureux de l'écrivain Georges Didi-Huberman, renouvelle le programme avec, à ses côtés, la voix de Maria Marin et Rafael Rodríguez à la guitare. Mais on reconnaît encore Jean-Christophe Maillot qui adore les danseurs exceptionnels (il a longtemps rêvé d'un duo Bernice Copieters – Antonio Canales), dans ce choix. On peut encore le comprendre avec la présence d'Ohad Naharin, même s'il y a pas beaucoup de technique “ Gaga ” chez Maillot l'exigence et la maîtrise de l'un répond à celle de l'autre. D'autant que le chorégraphe de la Batsheva Dance Company a ici confié sa création, Last Work, au Hessisches Staatsballett, dirigé depuis 2020 par Bruno Heynderickx (13 déc. 2024).
Fusion des compagnies de Darmstadt et Wiesbaden, cette troupe est en train de devenir l'une des toutes meilleures d'Europe comme elle l'a prouvé lors d'un précédent passage (à Biarritz en 2023). Rien, donc qui ne puisse étonner dans le choix du chorégraphe-ministre ! Remarquons au passage que la « saison » ne fait pas de place outrée à la propre compagnie du dit directeur-chorégraphe, (un programme mixte, une pièce de répertoire) mais nous y reviendrons.
Mais Peping Tom qui ouvre cette « saison » (11 déc 2024) ? Difficile de trouver un point de rencontre entre le travail théâtralisé et volontiers déglingué de Gabriela Carrizo et Franck Chartier, et l'univers sophistiqué du chorégraphe-programmateur… « Mais moi j'aime beaucoup, j'admire leur courage à aller au bout d'une danse qui est la leur. Lorsque l'on sait d'où ils proviennent, leurs origines artistiques, c'est remarquable [Gabriela Carrizo de chez Caroline Marcadé et la compagnie C. de la B. d’Alain Platel, tandis que Franck Chartier est issu des compagnies de Maurice Béjart, Rosas d’Anne Teresa De Keersmaeker, et C. de la B.]. C'est si rare d'être confronté à un univers vraiment singulier. Eux, vont dans une direction claire qui est la leur, avec un humour et une ironie particulièrement originale. Et Diptych est l'une de leurs meilleures créations ».
Alors, pourquoi pas Chotto Desh d'Akram Khan (16 déc 2024) ? la pièce n'est pas la plus novatrice de son auteur, mais le maître du katak contemporain propose un spectacle pour tout public très plaisant. Quant à Eugénie Andrin, (Dance Marathon, 17 déc 2024), autre locale de l'étape, elle est très reconnue du public de la Côte d’Azur. En revanche, il est particulièrement rare de trouver le nom de Jo Strømgren (peut-être parce que ce patronyme est un enfer à taper sur un clavier ?) ! Le chorégraphe norvégien, auteur il y a longtemps d'un hilarant et définitif hommage chorégraphique au football, a dirigé le Oslo Dance Ensemble, compagnie particulièrement active mais très peu venue en France, (sauf au Festival d’Uzès au début des années 2000). Et a disparu en 2018. Alors comment témoigner de ce style fait d'épure et d'ironie, d'élégance et de trivialité sinon en proposant un florilège : un triple programme «made in Oslo» composé de Gone (2015), The Ring (2014) et Kvart (2007) qui donne un aperçu d'un auteur trop rare (18 déc 2024).
Et reste le chorégraphe-chorégraphe, à la tête des Ballets de Monte-Carlo (belle adresse, grande histoire), mais vision ouverte. On retrouvera avec jubilation La Mégère Apprivoisée [lire notre critique] du 29 décembre 24 au 4 janvier 25. Il est d'usage qu'un grand spectacle soit ainsi à l'affiche pour le passage de la nouvelle année, après-tout, cela change des Nutcrackers anglo-saxon que l'on retrouve même à l'Opéra de Paris. Beaucoup a déjà été écrit de ce ballet en deux parties, directement inspiré de Shakespeare et dont la dimension de « commedia dell arte » chic et sophistiquée ouvrait (à sa création en 2014 pour le Bolchoï) un nouveau chapitre dans la carrière du chorégraphe. Mais, en contradiction de ces principes faisant porter l'accent et l'intérêt sur l'œuvre, plutôt que son interprétation, il est impératif, dans le cas présent, de chosir sa distribution. Non qu'il y en ait de mauvaise, mais il y en a une d'exceptionnelle : il faut voir Juliette Klein dans ce rôle. Cette jeune danseuse de 23 ans mêle la force, la virtuosité, la gouaille, l'autorité, le charme dans un cocktail des plus épicés.
Enfin mention spéciale pour le programme du 14-15 décembre. Le directeur-chorégraphe a d'usage de confier sa phalange de virtuose aux meilleurs composeurs de danse de la planète, il s'est donc, avec une logique parfaite, arrêté sur Sharon Eyal. L'Israélienne est sur toute les bouches parlant de danse, et dans toutes les programmations exigeantes. Mais comme le dit le programme, « un mouvement qui ne dit rien, qui ne raconte rien, qui part des secrets du ventre, creuse l’abdomen, écarte le bassin, raidit les jambes et se décharge sous nos yeux pour dire sa poésie animale », pour le ballet de Monte-Carlo, c'est un certain choc culturel… Pour la compagnie autant que pour l'artiste confrontée à une troupe dont les prérequis stylistiques s'éloignent assez des siens.
D'autant que cette Autodance est complétée par Vers un pays sage, très grande pièce de Maillot – hommage qu'un fils-chorégraphe rend à son père, peintre, en 1995 – on ne peut plus contrôlée et composée. « J'ai eu une longue conversation avec Sharon Eyal a propos de l'œuvre qui accompagnait la sienne. Elle m'a dit qu'elle n'aime que les ballets ; c'est ce qu'elle crée ! Et Vers un pays sage lui convient parfaitement dans sa strucuture et son exigence ». La confrontation entre les deux univers a donc valeur d'une défense et illustration de l'art de la danse ! Au point qu'il sera possible de revoir ce programme, début mars prochain, au Théâtre de la Ville de Paris. Pour l’histoire, cette scène fut, en 1986, le lieu d'un scandale visant un très jeune danseur-chorégraphe qui s'appelle, toujours, Maillot ! Un programme qui sonne donc comme une reconnaissance paradoxale.
Philippe Verrièle
Photo de preview : Vers un pays sage de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo © Alice Blangero
Monaco Dance Forum / Monaco du 11 au 18 décembre 2024, suivi de La Mégère apprivoisée du 29 décembre au 4 janvier 2025.
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