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Aurélien Dougé et Tiran Willemse : une soirée Swiss Dance Week à l’Atelier de Paris

Deux chorégraphes aux esthétiques très différentes, qui ont pourtant pour point commun un rapport à l’ombre et à la lumière, au propre comme au figuré présentaient leurs pièces à l'Atelier de Paris.

Aurélien Dougé interroge depuis plusieurs années notre rapport à la perception de l’espace et du temps. Dans Aux Lointains, en collaboration avec Cindy Van Acker, il invente une forme de danse paysage, où son corps devient fanal, un premier bras, puis les deux s’écartant comme pour marquer les jalons d’un chemin improbable, dans des environnements imposants, qu’ils soient ouverts comme dans la haute montagne du Val d’Herens, ou fermés comme New York où le regard se heurte aux parois de buildings dont les vitres miroitantes ouvrent sur de nouveaux panoramas, ou encore au Japon, terre de contrastes où la nature rejoint l’hyperculture.

Mais Aux Lointains est d’abord une œuvre de mémoire qui se confronte aux immensités. Il ne s’agit pas ici de convoquer mais d’évoquer villes et alpages, avec des processus divers : désigner – comme on l’a vu ci-dessus, ou inciter le spectateur à regarder… mieux. Ou ailleurs, au-delà du corps comme seul repère mais plutôt comme un amer posé dans la nuit. Car les jeux d’ombres et de lumières créés par Luc Gendroz sont parties prenantes de la création de Dougé. Ce sont elles qui distillent cette impression de si loin, si proche, de rapport à l’immensité ou de brouillage des sens. Le tout avec peu de moyens. Quatre ou cinq projecteurs et de curieuses bandes qui se reflètent sur la peau et le corps de Dougé et les soulignent, comme les stries des écorces de bouleau mettent en valeur leur blancheur spectrale. Venant révéler des souffles, des réminiscences de lieux (comme ces petits cailloux blancs disposés sur le plateau, comme traces de chemins parcourus), à la seule fin d’inventorier des états d’âme, Dougé et Van Acker nous ouvrent les portes d’un monde imaginaire. Finissant par des tours infinis, il initie un ballet de nuages, comme ceux que l’on peut voir quand la montagne s’éveille, soutenu par la création sonore de Rudy Decelière avec un orgue de continuo, premier éclat d’une aube qui continue d’exister sans lui, sans nous.

Tiran Willemse se situe à l’opposé de ce premier spectacle très contemplatif. Danseur, chorégraphe et chercheur sud-Africain installé entre Zurich (Suisse) et Berlin (Allemagne), cette figure émergente de la danse helvète a écrit son solo blackmilk au moment de la mort de George Floyd, en mai 2020 et du mouvement qui a suivi. D’où son côté volontairement disloqué, explosé, mais aussi d’une gestuelle évoquant protestations et émeutes, quand il projette bras et corps en avant, comme pour mieux se « lancer dans la bataille » comme aurait dit Pasolini. Mais tout commence par une sorte de brouillard d’où il émerge à la fois singulier et pluriel, tant son solo multiplie les gestes dans des accélérations inouïes, sortes de gimmicks physiques aux significations multiples. De courses courbées vers l’avant ou cabrées, de torsions en tous sens, d’imbroglio de bras et de mains qui deviennent presque des animaux indépendants du corps du danseur, Willemse nous fait entrer dans sa colère, son malaise et sa mélancolie. Car le chorégraphe est aussi ce corps hybride, queer, ni homme, ni femme, ni animal, mais animé d’une rage qui suffit pour exister. Imprégné de vocabulaire classique, mais puisant sa force dans la puissance mélodramatique des « divas », se coulant sans problème dans les virtuosités du hip-hop, Willemse explore tous les espaces, mais surtout tous les interstices possibles entre toutes les identités qui le composent… Mais, comme pour le très réussi, Untitled (Nostalgia, Act 3) vu cet été à Avignon, il ne sait pas s’arrêter à temps, et sombre dans une hystérie de mauvais aloi qu’il pourrait certainement éviter. 

Agnès Izrine

Vu le 27 novembre 2024, Atelier de Paris dans le cadre de la Swiss Dance Week et du Festival Danse Dense.

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