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François Chaignaud et Geoffroy Jourdain : « In Absentia »
Une pièce époustouflante où se conjuguent corps et voix dans une cérémonie intrigante et profonde.
Poursuivant le travail initié par t u m u l u s, François Chaignaud, chorégraphe et chanteur, avec sa compagnie Mandorle, et Geoffroy Jourdain, compositeur et directeur des Cris de Paris, réinterrogent dans In Absentia, le dispositif créé à cette occasion, avec le même groupe de treize performers, aussi à l’aise dans le chant que dans la danse, tout en explorant un répertoire de musiques sacrées de la Renaissance et du Moyen-Âge, et le retentissement du souffle sur le corps et la voix. Mais, contrairement à t u m u l u s, où les interprètes, sur scène, tournaient autour du fameux monticule, ici, ils gravitent autour de nous, qui sommes assis en cercle, laissant un disque vide au centre du dispositif. D’où peut-être ce titre d’In Absentia, ou, en l’absence de tumulus…
Cette volonté de déterritorialiser le spectacle en le propulsant à l’extérieur de nous, à la périphérie, ajoute à l’étrangeté de cette création qui parle justement de l’absence – y compris à nous-mêmes, ou des absents, soit ceux que l’on ne peut plus voir, mais tournent toujours dans nos mémoires et peut-être même, dans notre dos car parfois, nous endossons nos morts comme un poids supplémentaire, ou un souffle qui nous frôle à l’envers. C’est ce qui se passe dans cette performance où s’invente une polyphonie selon que les chanteurs et les chanteuses s’approchent ou s’éloignent, marchent ou ajoutent un tour, inhalent ou exhalent, dans une sorte de spatialisation sonore improvisée. Les chants, les voix qui se décalent creusent l’ombre qui baigne tout le spectacle, ou l’éclairent d’un nouveau jour. Des sons éteints – non pas inconnus, mais rarement écoutés – comme ces amorces d’air qui sont les prémices d’un air, justement, ou l’émergence de bruits produits par quelques tapotements de doigts sur la peau ou sur le costume, ouvrent sur des territoires infinis.
Une même matière chorégraphique et musicale s’infiltre dans les corps, qui, par leur mouvement perpétuel allié à une portée d’air constante, qui se fait chant ou murmures, chuchotements ou chantonnements, flux ou vent, élabore un écho permanent, un « bourdon » continu comme terrain de rencontre pour nos imaginaires. Une zone trouble où l’esprit se laisse dériver, tandis que les chanteurs et chanteuses, danseurs et danseuses, abandonnant la mécanique des sphères, traversent bientôt ces frontières invisibles en franchissant le vide du centre, dans des processions quasi liturgiques avec leur savant accoutrement de duvets et doudounes, de soie, de nylon ou de matières indistinctes, portés en capes, en fraises ou en chapeaux qui valent bien une mître, ou virevoltent avec la majesté de derviches en apesanteur.
Mais, dans ce cortège funéraire, d’où surgit une sarabande torse nu, et couvre-chefs extravagants à souhait, se tisse cette intrication, du ludique et du grave, de gestes mesurés et dégingandés, du mort et du vif qui sont l’essence de toute danse macabre, de celles qui se dansaient dans les cimetières comme derniers signes de résistance face à l’inexistence, l’absentia définitive.
Bien sûr, toutes ces variations sur le souffle et sa phonation nous rappellent les Petites joueuses, vu récemment dans les douves médiévales de l’ancien Musée du Louvre, et c’est un vrai plaisir de retrouver cette cérémonie qui, pour nous, évoque irrésistiblement des liturgies anciennes et depuis interdites, où le sacré s’incarnait dans les corps dansants et le souffle faisait bruisser l’air d’une présence ineffable, que les cloches de la fin nous signalent.
Agnès Izrine
Le 21 novembre 2024. Chaillot Théâtre national de la Danse.
Distribution
Conception : François Chaignaud, Geoffroy Jourdain.
Chorégraphie : François Chaignaud.
Direction musicale : Geoffroy Jourdain.
Costumes : Romain Brau.
Lumières : Anthony Merlaud.
Régie générale et lumière : Anthony Merlaud. Régie son : Aude Besnard, Jean-Louis Waflart.
Régie costumes : Alejandra Garcia.
Avec : Simon Bailly, Mario Barrantes-Espinoza, Florence Gengoul, Myriam Jarmache, Evann Loget-Raymond, Marie Picaut, Alan Picol, Antoine Roux-Briffaud, Vivien Simon, Maryfé Singy, Ryan Veillet, Aure Wachter, Daniel Wendler
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