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"MIRARI" une création d’Emmanuelle Vo-Dinh : Entretien

Emmanuelle Vo-Dinh, artiste associée à la scène nationale de Saint-Nazaire, crée MIRARI, une œuvre inspirée par la nature, un trio féminin qui réinterroge la question du paysage à travers quatre rituels. Nous l’avons rencontrée.

DCH : Le titre MIRARI semble suggérer ce qui a trait au regard ?

Emmanuelle Vo-Dinh : Certes la question du regard mais aussi le mirage. Au départ, néanmoins, cette création ne s’appelait pas MIRARI, mais Routine.s. Elle a gardé longtemps ce titre. Car elle correspondait à mon retour en compagnie après ma sortie de Centre chorégraphique national, et à mon désir de retrouver le plateau et donc une routine du corps que j’avais abandonnée dans mes dernières pièces étant trop happée par le CCN. Sont nées à partir de cet entraînement corporel régulier des performances dans l’espace public, et surtout au sein de paysages qui m’ont permis d’ouvrir un nouveau cycle d’écriture, que j’ai appelé ARCANES paysages, des performances qui s’écrivent et s’incarnent à la lumière du paysage dans lequel elles s’inscrivent.

Et j’ai aimé développer ces trois dernières années ces formes originales avec Alexia Bigot et Violette Angé, très en lien avec la nature du panorama que celles-ci venaient rencontrer ou questionner. Au début nous avons dansé sur les bords de Seine pour les 60 ans du Moulin d’Andé, puis au Mont Saint-Michel, puis les Falaises d’Etretat… Des paysages très forts qu’il faut incorporer. Et nous avons réintégré ces performances dans MIRARI.

DCH : Comment avez-vous procédé ?

Emmanuelle Vo-Dinh : À travers le prisme d’un travail sur le cadre. Depuis plusieurs années je m’inspire des techniques cinématographiques pour construire mon écriture chorégraphique. j’avais donc déjà mené tout une étude avec le projet ARCANES, collection de courts-métrages, qui puise sa source, non plus dans le montage, mais dans la question du cadre, et dans la mise en abîme que cette notion soulève particulièrement autour du dernier film d’Abbas Kiarostami, 24 frames.

C’est d’ailleurs ce qui m’a servi de point de départ pour les trios ARCANES paysage puis pour MIRARI qui propose différents rituels chorégraphiques, mettant en perspective ces mêmes notions de paysage et de recherche sur le cadre, mais dont le sujet ne serait autre que de tendre vers la création d’un paysage mental, où le temps serait palpable. C’est une création où la question de la mémoire, où les éléments que nous rencontrés fleuve, végétaux, vent, et faune sauvage restent inscrits dans l’organicité de nos corps. Simultanément, c’est une pièce très plastique et un peu magique. Dans le titre Routine.s il y avait cet écho des routines des illusionnistes (ensemble de passes structurées qui permettent la réalisation d’un tour), devenu depuis MIRARI, avec l’idée que nous fabriquions quelque chose de magique avec trois bouts de ficelle.

DCH : C’est-à-dire ?

Emmanuelle Vo-Dinh : Nous avons au départ utilisé un vieux tapis de yoga et deux lampes d’une grande marque suédoise qui donnaient l’illusion d’un rituel japonais… Dans MIRARI, c’est Françoise Michel désormais qui crée les éclairages. Mais le déploiement des éléments scénographiques au plateau amène la danse vers d’autres imaginaires pour ces quatre rituels qui composent cette création.

DCH : Pouvez-vous nous détailler ces rituels ?

Emmanuelle Vo-Dinh : Le premier rituel est un paysage de dos en mouvement qui deviennent des paysages, des visages, toutes sortes d’images aux impressions changeantes. Le deuxième joue avec des couvertures de survie en aluminium que nous avions utilisé dans une forêt à Andé avec des personnages en miroir sortis du fin fond de la forêt qui traversaient nos imaginaires. Il y a aussi tout un travail d’origami en volume et une recherche vocale. Le troisième rituel fait appel à un paravent en papier perforé absolument magnifique créé par Sascha Nordmeyer, un artiste allemand vivant en France et que j’ai vu installé dans un temple à Kyoto quand j’étais partie y jouer pour la Nuit Blanche et qui nous mystifie car il y a une sorte de mise en scène de la dématérialisation du corps. Et dans le quatrième, nous plongeons dans la proposition de l’artiste visuelle Annette Lenz, qui joue d’avatars lumineux et de persistance rétinienne pour les faire disparaître totalement.

DCH : Pourquoi les avoir appelés rituels ?

Emmanuelle Vo-Dinh : Car pour nous, la préparation comptait tout autant que la représentation. La mise en œuvre de ces danses que leur réception. La question qui m’agitait était comment amener le spectateur à recevoir ces danses ? Donc c’est presque une cérémonie de danse avec un côté préparatoire aussi important que l’acte lui-même. Un peu comme dans la cérémonie du thé japonaise.

DCH : Comment la musique s’insère dans ces dispositifs ?

Emmanuelle Vo-Dinh : David Monceau est présent au plateau et joue avec un synthétiseur modulaire par-dessus-une bande-son qu’il a composée à partir d’enregistrements en field recording d’animaux et insectes, de voix … qui génèrent un environnement, une atmosphère très particulière dans laquelle vient s’insérer MIRARI.

DCH : Comment interviennent ont vos deux interprètes dans cette création ?

Emmanuelle Vo-Dinh : Ce sont deux danseuses que je connais bien. Avec Alexia, nous travaillons ensemble depuis au moins quinze ans. Violette un peu moins. Mais ce qui est intéressant c’est que nous avons chacune dix ans de différence entre nous. Donc, trois approches différentes. Violette a de surcroît conçu les costumes, et c’est une artiste très polymorphe, elle joue de la viole de gambe, chante… Et je n’aurais pas créé cette pièce sans être accompagnée de personnes qui ont une pleine conscience des enjeux que je souhaite développer. MIRARI est un travail collégial, dans l’écriture, les propositions, c’est une mise en œuvre en commun et c’est très agréable.

Propos recueillis par Agnès Izrine

MIRARI création

Les 28 et 29 novembre Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire
Le 2 décembre au Festival Plein Phare in #3, Le Phare Centre chorégraphique national du Havre Normandie

MIRARI distribution
conception Emmanuelle Vo-Dinh
chorégraphie, scénographie, interprétation et costumes Violette Angé, Alexia Bigot, Emmanuelle Vo-Dinh
création musicale David Monceau
création lumière Françoise Michel
œuvre plastique rituel 3 Sascha Nordmeyer
scénographie lumineuse rituel 4 Anette Lenz
regard artistique Sabine Macher
direction de production Solenne Racapé

 

 

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