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« Réverbérations – Étude 8 » : Aina Alegre en « duel » avec une batterie

Aux Inaccoutumés de la Ménagerie de Verre, regard féminin sur la relation à l’instrument rock et jazz.

« Jouer de la batterie, c’est comme avoir quatre chevaux qu’il faut contrôler et lâcher. »(1)
Ce n’est pas Aina Alegre qui le dit, mais l’une des cinq musiciennes batteuses que la directrice du CCN de Grenoble a rencontrées et interviewées. Que signifie être femme et tenir ces baguettes, frapper la basse, provoquer le chant des cymbales etc. ? Comment devient-on batteuse ? Les réponses se manifestent dans les danses parfois sauvages, parfois fantomatiques, d’Aina Alegre et défilent mot par mot sur le mur de fond, sous forme d’aphorismes rock’n’roll. La Ménagerie de Verre, avec son côté brut et club souterrain, était un terrain idéal pour accueillir cette nouvelle Etude, dans laquelle la Catalane s’est lancée à la suite de son travail sur la relation des femmes aux instruments à vent, menée en grand format dans This Is Not (an act of love & resistance) [notre critique].

« Pour commencer la batterie, il te faut pas de batterie. »
L’une des cinq batteuses rencontrées (sans que l’on sache laquelle) est autodidacte. Elle a commencé en s’enfermant dans un studio pendant une semaine. C’est sûr, avec une paire de baguettes on peut frapper sur tout, et l’intérêt d’Alegre pour ce qu’elle identifie comme le « marteler-frapper » n’est plus à démontrer. Elle a donc mené une sorte d’étude de terrain pour explorer les énergies qui sont en jeu et comment se vit la relation entre le corps, l’instrument, le geste et le mouvement. Aussi les identités des trois batteuses se relient en son corps, dans un tourbillon plein d’énergie et d’autodérision.

« Dès que tu as envie de lâcher la tête, ça groove. »
Au début, Alegre laisse au public du temps, beaucoup de temps. On en profite pour repérer les citations des batteuses qui parlent de leurs identités et de la relation entre le corps et la musique. On étudie l’instrument, ou plutôt les instruments, en attente au milieu de l’aire de jeu. Et quand la danseuse, grande et athlétique, entre en scène et attaque, elle déverse une énergie orageuse, fiévreuse et libre. Un peu comme si Alegre avait elle aussi découvert son art en autodidacte, en mode punk. Elle tient là un beau rôle, celui d’une rockeuse d’antan, bien allumée.

Galerie photos © Laurent Philippe

« Il y a aussi beaucoup de mouvements incontrôlés. »
C’est tout un jeu entre le contrôle et le lâcher-prise qu’Alegre développe au cours de son solo. Qui est en fait un duo, avec cet objet sculptural qui domine le plateau. Qui mène la danse ? On peut avoir l’impression que c’est la batterie, tant ces Réverbérations pourraient être celles de cérémonies chamaniques, où Alegre céderait le contrôle de sa danse aux caisses, claire ou basse. Ici ou là, elle peut rappeler une revenante en mode allegro furioso, nous renvoyer au butô et bien sûr aux danses et cérémonies traditionnelles catalanes.

« La baguette est une extension du corps. Tu fais corps avec l’instrument. »
La dimension presque animiste de la relation avec l’instrument se mue en fusion, Alegre tissant une relation à distance, engageant ses fulgurances comme dans une corrida. Ce n’est qu’à la fin, après avoir exploré toutes les facettes de la relation avec l’instrument, qu’elle commence à jouer telle une musicienne. On ne s’y attend presque plus. Comme elle l’explique dans notre entretien, l’enjeu n’était pas de faire un spectacle musical en tant que batteuse mais de « faire corps avec la batterie, l'apprivoiser, faire duo… »

Galerie photos © Laurent Philippe

« Les batteuses de ma génération sont souvent seules dans un monde d’hommes. »
La batterie féministe, ça existe. Et Alegre se laisse traverser par ses rencontres avec les batteuses dont on trouve les noms dans le programme : Marta Urdiales, Laia Fortià, Núria Perich, Mercè Ros, Emilie Rambaud. Réverbérations est la huitième d’une série d’études, formes légères qui complètent les créations grand format, approches qui se nourrissent mutuellement. Aussi le point de départ était This Is Not (an act of love & resistance). Alors le côté brut de décoffrage de ce solo laissera-t-il des traces dans une création à venir ?

Thomas Hahn

(1) Les citations en gras, en début de paragraphe, font partie des propos de batteuses, projetés pendant le spectacle.

Vu le 8 novembre 2024, Paris, La Ménagerie de verre, festival Les Inaccoutumés

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