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Le rythme avant toutes choses : entretien avec Dalila Belaza.

Au festival EXCENTRIQUES à La Briqueterie dont elle est artiste associée, Dalila Belaza poursuit son « métissage utopique des héritages dansés » avec Rive. Issue d’un héritage inventé, cette cérémonie rythmique naît une danse invocatrice et vibratoire pour sept interprètes et elle-même. Elle nous en dit plus dans cet entretien.

Comment est né Rive que vous présentez lors d’Excentriques, à la Briqueterie / CDCN du Val-de-Marne ?

Rive est né alors que j’étais en pleine création d’Au cœur, fruit d’une rencontre inattendue entre ma formation contemporaine, et le groupe folklorique Lou Castellous de Senergue, que je répétais au Ballet national de Marseille (La)Horde. Ils m’ont demandé d’imaginer un petit format pour le festival Parallèle. Et j’ai cherché comment inventer une autre œuvre que celle que j’étais en train de créer avec un corps de ballet. De ce fait, mon rapport à Au cœur s’est modifié. Ça m'a demandé de changer de point de vue sur ce que j'étais en train de faire et de vivre comme expérience, ce qui a été salutaire.

Vos trois dernières pièces, dont Rive, ont un rapport avec la danse ancienne, traditionnelle ou folklorique… Pourquoi ?

Il existe un rapport de résonance, et presque de parenté entre les trois pièces que je viens de traverser ces dernières années, Au cœur, Figures et donc Rive. Néanmoins mon intérêt dans le questionnement de ces formes était justement de m’éloigner de tout ce qui pouvait créer du cloisonnement identitaire. Au départ, dans Au cœur, mon propos était comment en maintenant un geste d’une origine autre – disons issue du foklore –  retrouver le même geste en partant d’une intention, d’une intériorité tout autre. Comment peut-on recréer un nouveau cheminement pour arriver à une même forme. Ce qui, selon moi, participe de l’ouverture des imaginaires.

Quelles étaient vos interrogations ?

Elles portaient sur l’altérité, un questionnement intime, le rapport à la communauté, ce qui fait communauté, ou ce qui fait tradition. Je n'ai pas la prétention d'y répondre, mais ça m'intéressait quand même de poser la question.

Comment les traduisez-vous dans la chorégraphie ?

Mon fil rouge est le rythme. Et dans Au cœur, c’est ce qui m’a guidée, cette bourrée à deux temps. Là, ça provenait de danses aveyronnaises, mais on peut la retrouver dans d’autres cultures, comme en Algérie. Et même si on part d’une danse assez identifiable, ça rejoint, par un autre biais, qui est plus abstrait, plus épuré, les danses traditionnelles. Et cette persistance de la rythmique, qui peut se nicher dans n’importe quel endroit du corps, me fascine. Donc dans Rive, j’ai commencé par prendre pour base les rythmes des pieds et les déplacer dans d’autres parties de notre anatomie. Dans quel espace corporel s’inscrivent-ils alors ? Voyage-t-ils ailleurs ? Se détachent-ils du contexte dans lequel ils ont été créés ou dansés ?

Ne pourrait-on pas qualifier toute danse traditionnelle de « danse sur un rythme » quel qu’il soit ?

J’en suis absolument certaine. Je dirais même que ça s’apparente à l’inscription de l’être humain dans un contexte environnemental, et qui génère un certain type de rapport à l’espace, à la terre, et même à une dimension transcendantale. Nous avons joué Au cœur à l’Abbatiale de Conques et, à cette occasion, j’ai rencontré un musicien spécialiste justement des musiques et danses occitanes. Il m’a expliqué que ces danses frappaient le sol pour trouver un espace de transcendance et que peu à peu, cette signification s’était altérée pour devenir juste un son, un mouvement, c'est-à-dire ce qu'on s'imagine aujourd'hui des danses en sabot, un peu bourrues, qui cognent le sol et se sont coupées de leur ascendance spirituelle – qu’il a retrouvée en regardant la pièce. Et dans Rive, il y a cette dimension rituelle, presque cérémonielle, où l’humain abandonne ses représentations et son image, pour se plonger dans son essentialité, et se laisser traverser par d’autres courants.

Vous donnez, dans vos chorégraphies, une grande importance à la lumière. Pourquoi ?

Un journaliste italien a écrit que je créais un univers organique à partir de la danse, la lumière et le son. Et c’est mon ressenti. Je n’imagine pas la lumière comme un élément qui va venir habiller la danse, pas plus que le son ne va l’illustrer. Sans avoir la prétention de créer un langage, travailler avec ces trois dimensions participe pour moi d’une même écriture. Et j’ai l’impression que d’autres éléments pourraient intervenir pour susciter un vocabulaire commun.

Combien d’interprètes avez-vous sur le plateau ?

En général, neuf interprètes, plus moi qui danse l’introduction et la conclusion. En fait, nous pouvons osciller de huit à dix danseurs et danseuses sur le plateau. À l’origine, j’en souhaitais dix, non par folie des grandeurs, mais parce que je passais du corps de ballet de 22 personnes qui correspondait pour moi à la mise en scène de tout un peuple, à beaucoup moins. Ça été très difficile, mais ça passait par là. Ça raconte quelque chose d'autre sur l'être humain, sur le lien, la communauté.  Ça oblitère un peu l'individualité de chacun mais sans l'effacer ou la nier mais voilà, il y a quelque chose qui valorise l’être ensemble. Quand ils sont moins nombreux, ça reste la même pièce, mais avec quelque chose de plus ténu, de plus équilibré aussi dans le rapport entre les danseurs, qui convoque une autre forme d'urgence. À vingt c’est une foule, à sept, une communauté soudée. Mais, en réalité, ça joue surtout sur l’équilibre subtil entre les êtres humains… Il reste ardu d’insuffler un sentiment de dépassement ensemble, cet enjeu étant partie intégrante de Rive. Car la question du rythme dont nous parlions auparavant, ne se contente pas de sous-tendre la pièce, mais se dirige vers des accélérations qui servent de levier pour atteindre d’autres états, ou provoquent des enfouissements au point que le vide s’ouvre devant nous. Il faut de l’équilibre car la partition ne peut porter l’individuel, elle est jouée ensemble. En fait, le rythme est totalement écrit, les danseurs s’en servent pour caler leurs séquences, ils savent exactement où ils en sont, par rapport à sa vélocité, à sa démultiplication.

Vous êtes, depuis janvier 2024, artiste associée à la Briqueterie / CDCN du Val-de-Marne. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

C'est déjà une grande marque de confiance de la part de Sandra Neuveut, et c'est un soutien important, évidemment. J'ai été très heureuse de la façon dont les choses se sont construites dans le temps, progressivement. Elle s'est intéressée à mon travail depuis Au cœur, avant de soutenir Figures, un solo qui fait partie de cette sorte de trilogie. Puis ça a été un peu exponentiel jusqu'au moment où elle m'a fait la proposition d'être artiste associée. Ce qui me donne la possibilité d'avoir un ancrage pas seulement pour créer mais aussi faire de la recherche. Cette possibilité d’avoir ce temps de réflexion me tient à cœur, parce que sinon le reste n'existe pas. On accumule les urgences ce qui pousse à reproduire ce qu’on a déjà fait.  Ce qui favorise la pensée est absent, donc ça devient presque absurde. Être artiste associée, implique d'être aussi présente pour le lieu, pour les actions auprès des publics et ça me convient très bien. Ça arrive aussi au bon moment pour moi. Je ne suis plus une débutante ou une émergente, j'ai mené de nombreuses actions de sensibilisation dans le cadre de la compagnie de Nacera Belaza, ma sœur, et je pense avoir une certaine expertise dans ce domaine. Aujourd'hui, qu'il puisse avoir un lieu qui m'accueille c’est une vraie chance.

Vous développez de grandes formes, il est d’autant plus important d’avoir une structure partenaire…

C’est vrai, mais je ne veux pas me situer dans la production acharnée, à vide, mais au contraire que mes pièces fassent sens, que mes projections personnelles rencontrent celles d’un lieu comme la Briqueterie.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Rive de Dalila Belaza, du 2 au 4 octobre à La Briqueterie / CDCN du Val-de-Marne dans le cadre du festival Excentriques. Avec le Festival d’Automne à Paris.

 

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