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« Shiraz » d’Armin Hokmi
Un vrai travail d’orfèvre de l’espace fait de cette création un bijou chorégraphique.
Peut-on créer une danse minimaliste et expressionniste ? Abstraite et ancrée dans la tradition orientale ? Oui. Il suffit de découvrir Shiraz d’Armin Hokmi pour s’en persuader. Car Shiraz est une sorte de concentré de la danse occidentale revue à l’aune d’un pays lointain à la culture immémoriale, la Perse. Shiraz, c’est aussi le lieu de ce festival mythique et « avant-gardiste » de Persépolis (1967-1977), qui invita le nec plus ultra des artistes mondiaux, Boulez, Xenakis, Béjart, Cunningham et beaucoup d’autres. C’est cet espace ouvert à la réflexion artistique qu’évoque Armin Hokmi dans cette œuvre intrigante, remarquablement écrite, tant chorégraphiquement que dramaturgiquement, faisant passer avec subtilité toute cette histoire – j’aurais presque envie d’écrire dans le chas d’une aiguille, et sans jeu de mots – mais disons dans seulement quelques mouvements, à savoir un déhanchement, une ondulation du bassin et une main qui se positionne devant le visage.
Galerie photo : Laurent Philippe
L’ensemble tient grâce au dessin que les six interprètes exécutent, tout en courbes et en creux, laissant s’ouvrir des crevées d’air entre eux qui délimitent à chaque fois de nouveaux espaces et une vision nouvelle de ce que l’on vient pourtant d’observer. C’est aussi complexe et maîtrisé que les merveilleuses volutes des motifs géométriques de la mosquée de Shiraz, justement, mais que l’on retrouve dans les céramiques, ou les muqarnas, ces coupoles en alvéoles qui tutoient les cieux. Et comme elles, quand on les regarde avec attention, cette chorégraphie du peu devient fascinante, voire hypnotique, tandis que les interprètes s’alignent pour mieux s’étoiler, et les costumes se teintent ou s’assombrissent au gré d’éclairages qui nous rappellent le temps qui passe.
Galerie photo : Laurent Philippe
Et ce mouvement à la fois minimal et sensuel nous rappelle tous les gestes interdits depuis l’arrivée au pouvoir de la République islamiste, comme le suggère cette main qui vient voiler régulièrement le visage, et obscurcit la vision.
Armin Hokmi, artiste iranien exilé depuis plusieurs années en Europe, d’abord en Norvège puis à Berlin, a été découvert par Jean-Paul Montanari alors qu’il répétait à l’Agora – Cité internationale de la Danse. Il l’a immédiatement invité à participer à cette 44e édition du Festival Montpellier Danse, et il faut saluer ici, non seulement le flair du programmateur, mais aussi la prise de risque que cela suppose. C’est suffisamment rare pour être signalé, mais c’est aussi l’ADN de ce festival de danse et ce qui en fait l’un des plus grands du monde.
Agnès Izrine
Le 2 juillet 2024, Festival Montpellier danse, Théâtre du Hangar.
Distribution :
Concept, chorégraphie : Armin Hokmi
Avec Daniel Sarr, Aleksandra Petrushevska, Luisa Fernanda Alfonso, Efthimios Moschopoulos, Johanna Ryynänen, Emmi Venna en alternance avec Xenia Koghilaki, Charlott Madeleine Utzig
Musique : EHSXN, Reza R
Création lumière : Vito Walter
Scénographie et concept lumière : Felipe Osorio Guzmán
En conversation avec : Emmi Venna
Costumes : Moriah Askenaizer
Consultation et étude des archives du Festival des arts de Shiraz : Vali Mahlouji
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