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Clara Furey et Spicey : Soirée québécoise à June Events

Deux propositions aux antipodes, d’un voyage intérieur et sensuel à la street dance du moment.

Une soirée québécoise, dans l’immense variété des écritures montréalaise, allant d’une écoute très intimiste à l’explosion dans l’espace urbain. Retrouvailles avec Clara Furey, complice historique de Benoît Lachambre, artiste chorégraphique autant que chanteuse. Furey ne nous est pas inconnue, notamment depuis le mémorable Chutes incandescentes, duo rocambolesque avec Lachambre autour d’un piano. Une chorégraphe qui ne cesse de chercher de nouvelles formes, prête à prendre tous les risques. Ensuite, une vraie découverte, celle de Spicey, figure incontournable de la street dance (on ne parle plus de danses urbaines, nous dit-elle – lire notre entretien ), qui n’était jamais venue en France. Anne Sauvage qui dirige le CDCN Atelier de Paris et le festival June Events, l’a découverte sur place, à Montréal, et l’a spontanément invitée à présenter La Probabilité du Néant, une fresque urbaine d’une écriture très personnelle.

Tomber les armures

Clara Furey aime partir de sensations intérieures pour les transformer en chorégraphies sensorielles. Mais elle n’est peut-être jamais allée aussi loin que dans Unarmoured, sa nouvelle création. Avec une ambition, voire une injonction : Faire tomber ses armures, surtout celles qu’on se construit à l’intérieur de soi. Ici, dans un domaine précis, à savoir le rapport à l’amour, la sensualité et l’érotisme. Evoquer, représenter, vivre la sensualité sur le plateau et en transmettre des frissons, des envies au public ?

C’est une façon de mettre le corps au centre de la danse, d’une manière différente du discours sociétal tenu par les performances de la génération Jérôme Bel, Xavier Le Roy etc. Transmettre au public une idée et des sensations d’un érotisme libéré puise carrément sur les terres de la subversion. L’intention en tout cas y est : « oser l’amour qui a façonné cette création », comme elle dit, et « réengager son corps, son rapport à l’érotisme. » Un beau projet, un rappel utile dans une société qui ne jure que par l’argent. Quasiment un manifeste, mais pas une manif. Pas « tomber la chemise », mais tomber les bouts d’armure qui empêchent de vivre. 

On arrive pourtant aux limites de l’exercice quand il s’agit d’agrémenter ces intentions d’une forme scénique et chorégraphique. Si certains tableaux sont de vrais plaisirs pour les yeux, grâce à des techniques de danse pleines de finesse et de précision, le spectacle frontal est une forme qui se construit ses propres armures. Des mouvements ondulatoires du bassin et autres représentations de rites ou d’extase ne suffisent pas pour dépasser ces barrières. Et si cela avait lieu, la transgression serait difficilement acceptée à notre époque, de plus en plus restrictive. Revendiquer sur le plateau une démarche qui ne se laisse pas réaliser pour prouver, par un spectacle sans possibilité d’aboutir, sa propre nécessité et en même temps son impossibilité, voilà le paradoxe qui porte – et en même temps plombe – Unarmoured.

Spicey sur le front

Découverte de grande ampleur, La Probabilité du Néant de Spicey réunit neuf interprètes dans une quadrature du cercle où la danse et la vie ne font qu’un. C’est la force de cette pièce, où chacune et chacun se révèle dans la puissance de ses failles intimes. Leur véracité est telle qu’on croit les avoir croisés dans son quartier, peut-être même hier. Et pourtant, la troupe ne cède rien en termes d’écriture chorégraphique, de précision ou de présence.

Surnommée Spicey, Alexandra Landé revendique un lien direct entre les situations sur le plateau et la vie réelle. Et même si certaines scènes partent dans la beauté filigrane d’univers oniriques et presque vers des mudras en ombres chinoises, elle n’esquive en rien la question de la violence et des agressions en gang. L’idée est ici partie du bystander effect, phénomène social qui veut qu’un grand nombre de témoins d’un acte de violence est moins susceptible d’intervenir qu’un petit nombre. Plus il y a de personnes, plus chacun délègue sa responsabilité aux autres. Si le point de départ est intéressant, La Probabilité du Néant n’est pourtant, et heureusement, pas la mise en scène d’une théorie sociologique.

Spicey réussit à extraire des circulations urbaines une énergie chorégraphique envoutante, sans jouer la carte des cyphers ou autres stéréotypes. Chaque personnalité éclot et s’exprime, reliant ses émois intimes à la partition urbaine d’une danse qui se joue des catégories. Indéniablement, la Québécoise a le sens du rythme et des énergies. Il faut dire que ses parents étaient déjà dans le hip-hop et qu’il n’est donc guère étonnant qu’elle aborde la vie à travers la culture de la street qui l’accompagne depuis son plus jeune âge. La Probabilité du Néant est une plénitude chorégraphique, et on espère donc revoir très vite Spicey sur les scènes françaises.

Thomas Hahn

June Events, le 4 juin 2024

 

 

 

 

 

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