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Zora Snake et Soa Ratsifandrihana à June Events
June Events consacre une soirée dédiée à la mémoire et aux rituels africains. Deux pièces aux profondes sensibilités témoignent du passé et du présent.
Au son d’une flûte traversière jouée en direct, c’est dans la cour ensoleillée de l’Atelier de Paris que débute L’Opéra du Villageois de Zora Snake Au centre, trône un cube noir sur lequel on pose un homme dont le torse est doré, le visage recouvert d’un très long masque et le bas du corps revêtu d’un pantalon collant aux teintes qui font songer à un serpent.
Zora Snake ne bouge absolument pas alors que différentes phrases enregistrées sont prononcées dans plusieurs langues dont celle d’Emmanuel Macron clamant : Je veux que soit restitué tout le patrimoine africain. Le thème de cette œuvre signée par le Camerounais est lancé. Toujours sur son socle, il ondule avec une extrême délicatesse, accompagné par des musiques et chants africains. Son immense masque coloré interpelle et l’on comprend qu’il représente une œuvre très ancienne qui est exposée dans la vitrine d’un musée occidental.
Puis le public est dirigé dans la salle de l’Atelier de Paris exemptée de ses gradins. Juste quelques chaises et surtout de nombreux coussins encerclent le plateau. Là, après avoir ôté son masque et son pantalon, une certaine forme de liturgie débute. Alors qu’il étend du sel autour de lui, Zora s’approprie à merveille le langage du hip-hop. Sans prendre d’élan, il saute, tourne sur la tête, zigzague rapidement et gracieusement en faisant voler la fine matière. Mais rien n’annonce la suite à la fois poétique et morbide de ce solo. En effet, alors que le danseur est allongé à plat ventre, des hommes ouvrent une multitude de gros sacs de terre disséminés autour du lui et lui recouvrent tout le corps, même la tête, pour l’ensevelir. L’acte de poésie et d’espoir est joliment décrit par une fleur rouge qui apparait face à ce visage enterré.
Un acte de résistance puissant, inouï et rare sur la mémoire et la réhabilitation des cultures oubliées.
C’est ensuite au théâtre de l’Aquarium que Soa Ratsifandrihana, d’origine malgache, présente sa dernière création, Fampitaha, fampita, fampitàna qui signifie la comparaison, la transmission et la rivalité. En conséquence, on ne s’attend vraiment pas à voir dès le début quatre interprètes vêtus d’amples robes et pantalons colorés propres au XVIIIe siècle, qui dansent des quadrilles baroques. Ils indiquent vocalement des pays : Haïti, Madagascar, Guadeloupe, Martinique, Antilles, France, Belgique… tout en expliquant qu’il s’agit de la première génération d’immigration, puis des deux suivantes… Ainsi, sur les musiques aux multiples styles du guitariste Joël Rabesolo, les corps se défient, se choisissent et se purgent (des strates) de violences qui les composent.
Alors que les costumes deviennent contemporains, les citations de rues, et surtout la rue des Negmarrons, fait songer à l’esclavage. D’autres, à la terrible misère qui règne à Madagascar depuis son indépendance en 1960. Mais pour autant, rien n’est larmoyant, même quand il est question d’un village noyé sous les eaux. Car la population de cette immense et magnifique île est résiliente et farouche. Ceci d’autant plus que la danse est leur moyen d’expression et de transmission depuis toujours. La chorégraphe et danseuse Soa Ratsifandrihana dessine à merveille son pays de naissance en entremêlant les styles de danse, du passé au contemporain avec une aisance surprenante grâce aussi aux excellents interprètes. Les corps racontent leur histoire, à travers danse et musique, et imaginent un futur émancipateur dans cette magnifique parade à l’exil, où vibre l’éclatement des vécus au même titre que leur réappropriation.
Comme le souligne Anne Sauvage, l’objectif de cette 18e édition de June Events est de porter une attention particulière à des œuvres entrelaçant mémoires individuelles et mémoires collectives, le plateau se fait autant l’écho de nos histoires intimes que de la grande Histoire.
Pari grandement gagné ce soir là.
Sophie Lesort
Spectacles vus le 6 juin 2024 dans le cadre de June Events
Atelier de Paris : https://www.atelierdeparis.org/
L’Opéra du Villageois
Conception, chorégraphie et performance : Zora Snake
Musique : Maddly Mendy Sylva
Débats, textes et discussions politiques : Bénédicte Savoy, Felwine Sarr, Emmanuel Macron
Texte : Le serpent — Zora Snake
Musique enregistrée : Musique traditionnelle (Bébé Wandja, Bamiléké)
Fampitaha, fampita, fampitàna
Direction artistique : Soa Ratsifandrihana
Chorégraphie et interprétation : Audrey Mérilus, Stanley Ollivier, Soa Ratsifandrihana
La phrase footwork est de Raza
Musique originale et interprétation : Joël Rabesolo
Dramaturgie : Lily Brieu Nguyen
Collaboration artistique : Jérémie Polin Razanaparany aka Raza, Amelia Ewu, Thi Mai Nguyen
Lumières : Marie-Christine Soma
Costumes : Harilay Rabenjamina
Son : Chloé Despax, Guilhem Angot
Regard sur les questions de transmission et d’identité : Prisca Ratovonasy
Textes : Sékou Semega
Regard extérieur : Maria Dogahe
Vidéos : Valérianne Poidevin
En tournée :
18 au 22.09.2024 MC 93, Bobigny Festival d'Automne, 03 et 04.10.2024 Ballet national de Marseille, Marseille, 10.12.2024Théâtre d’Orléans – Scène nationale, Orléans .
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