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Le Serment d’Opéra au Carré de Baudouin

Le Carré de Baudouin, magnifique espace culturel de la ville de Paris où nous avions découvert en 2018 la rétrospective du photographe de l’étape, le Bellevillois Willy Ronis, présente actuellement Le Serment d’Opéra, un titre qui fait référence à la promesse d’Hippocrate et non à l’acte fondateur de la République au Jeu de Paume.

Le Serment d’Opéra est le fruit de la rencontre entre le Dr Alberto Velasco, psychiatre et psychanalyste à Sainte-Anne et Myriam Mazouzi, directrice de l’Académie de l’Opéra de Paris. Une académie au sein de ce qui fut dès avant la Révolution – et reste – l’académie de la danse. L’art thérapeutique, ceux de Terpsichore et de Niépce cohabiteront de différentes façons jusqu’au 21 septembre 2024 dans les hauteurs de Ménilmontant. Les visiteurs pourront y assister gratuitement à la restitution d’ateliers de danse-thérapie, à des performances, à des tables-rondes sur la psychiatrie et les neurosciences et à des projections de cinédanse dans un auditorium refait à neuf.

Galerie photo : Frédéric Stucin "Le Serment d'Opéra" vues de l'exposition - Le Carré de Baudouin © Frédéric Stucin

Last but not least, tout un chacun pourra y admirer la spectaculaire exposition du photographe Frédéric Stucin qui a gardé trace de l’invitation à la danse proposée par les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris, Takeru Coste et Antonin Monié, dans ses studios de Garnier de Bastille, à un groupe de soignants et de malades de l’hôpital Sainte-Anne. Cet établissement psychiatrique a d’ailleurs été, depuis 1950, à la pointe de l’art-thérapie. Le MahhsA, son musée interne créé à l’initiative des docteurs Robert Volmat, Guy Rosolato et Gaston Ferdière – le médecin d’Antonin Artaud à Rodez – vient de prêter deux œuvres d’une de ses plus fameuses patientes, Unica Zürn, compagne de Hans Bellmer, au Musée des Beaux-arts de Lausanne qui célèbre en ce moment le Centenaire du surréalisme.

Galerie photo : Frédéric Stucin "Le Serment d'Opéra" vues de l'exposition - Le Carré de Baudouin © Frédéric Stucin

Deux ans durant, une fois par semaine, vingt personnes ont pu, grâce à la danse, reconsidérer le rapport à leur corps et, le cas échéant, repenser leur rapport à l’autre. Commande a été passée à Frédéric Stucin qui a proposé un regard artistique à ce « programme d’inclusion sociale » imaginé par l’Académie de l’Opéra. Il a fixé sur pied son Hasselblad, à une certaine hauteur et une certaine distance de l’aire de jeu qu’est la piste de danse – studio de travail des danseurs et des danseuses. Un espace sans décorum, débarrassé de ses miroirs. Habitué des lieux, le photographe s’est immergé sans difficulté dans le groupe et a pu régler lui-même les éclairages à sa guise.

Galerie photo : Frédéric Stucin "Le Serment d'Opéra" vues de l'exposition - Le Carré de Baudouin © Frédéric Stucin

Ce contrôle de la lumière lui a permis d’obtenir un effet de « nuit américaine » et un clair-obscur fascinant à la Rembrandt qui déréalise et délocalise l’action et valorise un détail, un personnage. Cette étrangeté n’a pour nous rien d’inquiétant : on ne saurait l’associer à l’Unheimlich (inquiétante étrangeté) dont traita Freud en 1919 dans la revue Imago. Lors de la réalisation de portraits, le photographe donna pour consigne à ses modèles de rester neutres (à l’instar des acteurs bressonniens) et de ne pas sourire, cette expression du visage pouvant être mal interprétée, s’agissant de personnes atteintes de maladie mentale.

Galerie photo : Frédéric Stucin "Le Serment d'Opéra"  © Frédéric Stucin courtesy galerie Clémentine de la Feronnière

Le résultat est épatant. L’accrochage ayant été imaginé suffisamment à l’avance, le photographe a joué avec l’immensité des salles du Carré de Baudouin. Au rez-de-chaussée, il a présenté ses images sous forme de diptyques, faisant miroiter les cadres, mettant en scène – sur un même plan – étoiles et figurants. Il a élargi les vues comme dans des films en cinémascope. Il a transformé le premier étage en chambre noire, passant d’une bande témoin agrandie de petits formats à un gigantesque rideau de scène azuré plus vrai que nature. Le soin apporté par l’artiste et le laboratoire Dupon à l’étalonnage et aux tirages est remarquable. Ce par quoi la photo peut parfois se confondre avec la peinture.

Nicolas Villodre

Vu le 16 mai 2024 au Carré de Baudouin, à Paris. Jusqu'au 21 septembre 2024.

 

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