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« Infra » et « Fuglane » à Artdanthé : Les voyages intérieurs de Vincent Dupuy
L’interprète du très beau solo Fuglane, signé Hélène Rocheteau, a présenté Infra, sa première création, un trio.
La première création est un moment particulier dans le parcours d’un artiste, peut-être celui où elle ou il se révèle comme jamais. Ou bien il s’agit d’un premier pas encore timide, sauf chez les autres, qui font effraction avec fracas sur la scène artistique. Une première œuvre de chorégraphe est-elle révélation soudaine ou gestation progressive en suivant d’abord les girons esthétiques des expériences faites en tant qu’interprète ? Est-ce la première réalisation qui est la plus difficile ou faut-il donner raison à ceux qui disent que tout le monde peut faire une première pièce forte et que le vrai talent se révèle à la deuxième voire troisième création, puisque c’est elles qui sont en vérité les plus difficiles ? On ne saurait ici trancher ces questions, à la place des artistes. Il faut par contre féliciter Vincent Dupuy d’avoir pu aligner un joli bouquet de coproducteurs, à commencer par le Théâtre de Vanves qui a permis à Infra de voir le jour dans le cadre du festival Artdanthé.
Vincent Dupuy est un homme des croisées de chemins, et on trouve dans son trio féminin à la fois un désir de radicalité et d’épure, et les réminiscences de son parcours en tant qu’interprète, dans May Be de Maguy Marin comme dans Crowd et Kindertotenlieder de Gisèle Vienne et autres Hervé Robbe. Et bien sûr, Fuglane, ce solo poétique et sensible, écrit sur mesure pour Dupuy par Hélène Rocheteau, en résonance au roman éponyme du Norvégien Tarjeï Vesaas dont le titre signifie Les Oiseaux. Formé en sciences, en théâtre et en danse, sans parler de ses dix ans de gymnastique artistique, Dupuy crée avec Infra un monde intérieur pour trois danseuses à la lisière entre condition humaine et états hors humains. De petite taille et incertaines à tous les niveaux, Morgane Bonis, Alice lada et Maureen Nass se dérobent à toute attribution d’âge et d’état. Enfants, adolescentes ou adultes ? Mannequins qui s’animent ou femmes en passage vers un monde virtuel ? Dès lors, qui ne va pas, dans ces zones intermédiaires et troubles, laisser cheminer quelques pensées en direction de Gisèle Vienne ?
Galerie photo © Arnaud Bouvier
On va donc tenter de suivre les imprévisibles trajectoires des trois figures féminines dans la nuit qui les avale ou recrache sur le plateau, pour les voir s’animer et s’humaniser quand elles esquissent quelques pas pour se déplacer. Ensemble, elles forment une seule présence, qui s’étend au-delà de leurs corps et du moment. Sans jamais se toucher. Où toute communication passe par le sensible. Mais alors, pourquoi se retrouvent-elles là, une même nuit, au même endroit ? Que partagent-elles en portant ces robes vaguement futuristes, roses, épaisses et synthétiques qui leur confèrent un air d’automates, d’anges ou d’adolescentes ? Quelle est leur relation à l’autre, à elles-mêmes, à la vie ? Ces questionnements, elles les portent évidemment à la place du spectateur. Et Vincent Dupuy laisse entrevoir qu’il a bien su profiter de ses expériences d’interprète, maîtrisant parfaitement sa partition pour un ensemble de corps en état de flottaison et d’oscillement.
Thomas Hahn
Festival Artdanthé, le 14 mars 2024 - Vanves, salle Panopée
Infra
Chorégraphie Vincent Dupuy
Interprétation Morgane Bonis, Alice Lada, Maureen Nass
Compositeur Thomas Poli
Création Lumière Selma Yaker
Conception des Costumes Rachel Garcia
Fuglane d’Hélène Rocheteau avec Vincent Dupuy : le 19 mars 2024 au Festival Artdanthé
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