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Valérie Müller aime à filmer la danse. Elle l'a fait avec Polina, d'après la bande-dessinée de Bastien Vives, avec Danser sa peinequi suivait des femmes emprisonnées aux Baumettes, la prison de Marseille, et aujourd'hui, pour La Force de l'âge, avec des danseurs ayant dépassé depuis longtemps l'âge de participer aux auditions. Chaque fois, c'est avec un certain Preljocaj à la chorégraphie, mais il y a là une recherche que cette nouvelle réalisation met en évidence.

Cela s'appelle quand même chercher la difficulté. Un film de danse sans virtuosité, et un film avec des vieux et sans pathos ! Valérie Müller témoigne décidément d'un certain optimisme pour s'être engagée dans son projet de film La Force de l'âge… Mais preuve qu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, elle est parvenue non seulement à le réaliser, mais également à le faire diffuser par France télévision. Il faut apporter une correction cependant : la cinéaste avait dans sa manche quelques atouts dont le moindre était que ce film s'appuie sur le spectacle Birthday Party, produit par l'Aterballetto en 2023, et que ce ballet, très réussi est chorégraphié par Angelin Preljocaj, ci-devant mari de la cinéaste et auteur du déjà remarquable projet Soul Kitchen (2019). Cette pièce pour cinq détenues du Centre pénitentiaire des Baumettes II à Marseille avait déjà donné lieu à un film, Danser sa peine, lequel remporta le Grand Prix Documentaire National du Fipadoc 2020 (Festival international de programmes audiovisuels documentaires de Biarritz) dont la réalisatrice était la même Valérie Muller… On peut prendre des risques, mais avec un minimum de garantie de réussite quand même… Et il est certain que la remarquable réalisation, la tension, l'humanité et même le suspens que faisait naître Danser sa peine ne pouvait pas laisser indifférent un programmateur de télévision recevant la proposition.

La Force de l'âge suit donc la création de Birthday party pas à pas, non pas depuis les débuts (on ne sait rien des relations d'Angelin avec l'Aterballetto ni des motivations de cette institution pour s'être engagée dans ce projet, pas plus que du couplage avec une création de Rachid Ouramdane) mais à partir du casting. Car, singularité profonde de cette pièce, pour être une pièce de danseurs âgés, elle est aussi une pièce de novices : à quelques exceptions près, les interprètes n'ont jamais participé auparavant à une création et même, pour certains d'entre eux, ignorent tout de la relation à la scène ! Si l'on excepte Thierry Parmentier, 71 ans, Belge, qui a été danseur et Bruce Taylor, 72 ans, Américain, professeur de modern jazz bien connu, on trouve Mario Barzaghi, 69 ans, italien, ancien ouvrier devenu acteur, Patricia Dedieu, 70 ans, française, professeur de pilates, Marie-Thérèse Priou dite Maïté, 79 ans, franco-vietnamienne, retraitée de la ville de Paris, Sabina Cesaroni, 67 ans italienne, danseuse maître-yoga, Elli Medeiros, 67 ans, franco-uruguayenne, chanteuse et actrice et Roberto Maria Macchi, 72 ans, italien, médecin à la retraite soit une belle proportion de véritables débutants dont il faut quand même noter que tous témoignent d'une attention profonde à leur rapport au corps.

« Dans les auditions, Angelin demande un exercice très simple. Il demande aux candidats de marcher face à lui, tout droit, en ouvrant les bras. Dans des mouvements comme celui-là, on voit apparaître immédiatement des différences profondes. Certains habitent ce mouvement, d'autres pas. Ce n'est pas une question de valeur ou de qualité personnelle, c'est quelque chose d'assez mystérieux » raconte la réalisatrice. Le moment de l'audition tient une place assez importante dans le film qui s'attache ensuite à tout le travail au sol, en groupe, en pose… le chorégraphe l'œil aux aguets. La question vient à Angelin : « pourquoi avoir choisi de travailler avec des personnes âgées ? » et lui ne répond pas. Ou plutôt indirectement en soulignant qu'il demande à ces impétrants (ou presque) le même engagement et les mêmes efforts qu'à ses interprètes habituels. Birthday party est une œuvre d'Angelin Preljocaj, un point c'est tout. Cette pièce explore quelque chose de cet engagement et le film, quoi qu'en affirme sa réalisatrice, en fait son sujet principal. « J'ai été sensible à ces personnalités qui prennent le risque d'exposer leur corps dans le mouvement ; la danse est une écriture et je m'interroge sur ce que l'on lit sur les corps à travers le mouvement » explique Valérie Müller.

Or, au fil du film, l'objectif du spectacle s'éloigne et avec lui l'enjeu même de l'engagement au point que l'on ne verra quasiment rien de Birthday Party comme pièce ; en revanche, reprenant sans le pousser jusqu'au paroxysme, un procédé qui avait été utilisé par André S Labarthe pour son Solo (1984, film retraçant « à sa façon » la création de Blue Lady de Carlson) Valérie Müller fait apparaître le décompte des jours qui précèdent la création, fait monter une tension et met les esprits autant que les physiques sous une pression qui révèle cette « dansité » des interprètes, qui creusent ce mystère de la danse sourdant de ces danseurs « là » ; la réalisatrice fait du danseur la question de la danse. La véritable qualité de ce film est là et c'est pour cela qu'il risque de surprendre les amateurs de belles histoires de réalisation personnelle et de beaux vieux qui bougent. Ceux-là sont vieux, certes, mais comme une condition d'expérience. Ils sont surtout là parce qu'à travers eux quelque chose va advenir qui s'appelle la danse. Et c'est très beau.

Philippe Verrièle

La force de l'âge. Documentaire inédit (52 min)

Autrice et réalisatrice : Valérie Müller
Produit par Béatrice Schönberg et Gaël Leiblang
Chorégraphie : Angelin Preljocaj

La ligne bleue Lundi 5 février à 22.55 sur France 3 et sur france.tv