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Le Ballet de l'Opéra national du Rhin présente « Sérénades »
Sérénades est une soirée composée par trois chorégraphes, Brett Fukuda, Gil Harush et Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’OnR.
La sérénade est, dans son sens habituel, une pièce musicale composée en l’honneur d’une personne, jouée le soir – comme son nom l’indique. Dès le Moyen-Âge, les amants passionnés chantent leurs troubles amoureux sous le balcon de leur Dulcinée. Elle devient ensuite un genre musical singulier dont s’empare Tchaïkovski en 1880 avec sa Sérénade pour cordes en ut majeur sur laquelle Balanchine chorégraphie en 1934 son premier ballet américain…Mais c’est aussi et surtout une soirée pour l’ensemble du Ballet de l’OnR qui revisite la tradition de l’ode amoureuse, en compagnie de l’Orchestre symphonique de Mulhouse dirigé par Thomas Rösner qui revisite deux grandes partitions pour orchestre à cordes.
La haute silhouette infiniment élégante de Mister B étend son ombre sur Sérénades, le nouveau programme du Ballet du Rhin concocté par son directeur, Bruno Bouché,que l’on pourra voir du 13 au 28 janvier, à Strasbourg et Mulhouse. Apollon musagète (1928) ; Sérénade (1934) : deux jeunes chorégraphes sont appelés à proposer leurs versions de ces ballets qui plus que des chefs-d'œuvre du répertoire sont deux étapes essentielles dans l'affirmation du style Balanchine, l'une des articulations majeures de l'évolution de la modernité.
Avec Apollon Musagète Balanchine casse les codes pour les établir sur des bases entièrement nouvelles. Cette création est un succès mais l'on peinerait un peu aujourd'hui à reconnaître sous les perruques et les tuniques à la grecque qu'avait signées André Bauchant, le ballet tel qu'il est devenu au fur et à mesure des reprises. La pièce s’est épurée, perdant les costumes et toute forme de décors au profit d’un plateau nu et de la tenue stricte que le l’on connaît : pour le danseur collant noir, haut blanc et pour les danseuses, tunique à jupe fluide. Une simplification qui renforce la sensation de classicisme d’une œuvre qui finit par devenir une manière de signature, voire de style. Apollo – pour renvoyer à la forme américaine du ballet – est le labo du classique tel que conçu par le chorégraphe.
Pour Brett Fukuda, danseuse du Ballet de l’OnR depuis 2018, engagée en création, la confrontation avec Apollon musagète-Apollo, devenu pour elle Muse Paradox, revient à replonger à la source même de sa pratique, à interroger son propre cheminement. Formée à la School of American Ballet fondée par Balanchine, « toutes mes professeures, toutes les femmes qui m’ont inspirée ont été les muses de George Balanchine. » reconnaît-elle. Elle aurait même voulu être l’une d’entre elles tout en réalisant ce que cela supposait d’abnégation créative ! C’est d’ailleurs dans cette réflexion qu’elle puise l’une de ses sources d’inspiration, se demandant : « Quelles places occupent mon expérience de danseuse, l’Apollon Musagète de Balanchine dans mon questionnement ? Sa chorégraphie m’a toujours octroyé beaucoup de liberté. Au sein de son œuvre, je n’ai jamais figuré dans le corps de ballet, cantonnée sur le côté de la scène, comme un décor. ».
Mais l’histoire de cette création pose inévitablement la question du regard masculin sur le corps de la femme et ses attentes par rapport à celui-ci. Comment s’émanciper de cette donnée quand on est danseuse et que l’on travaille à partir même du regard de l’autre – qu’il soit réel ou fantasmé ? Brett Fukuda choisit de s’y confronter directement, avouant : « Je suis descendue au plus profond de la femme, de la danseuse et de l’étudiante imprégnée des enseignements de Balanchine. »
Cette œuvre fondatrice de Mr B. permet d’établir le lien entre la contribution des muses à l’avènement d’Apollon, tout comme les muses de Balanchine à sa consécration chorégraphique.
Ce qui amène à Serenade, et partant à la question du style. Arrivant au États-Unis, invité à s'installer à New York par Lincoln Kirstein, Balanchine sait parfaitement que pour obtenir cette ligne, cette vitesse d'exécution, cette circulation singulière de l'énergie dans le corps, il lui faut former des interprètes particuliers : des danseurs classiques… Balanchine lui déclare alors : « First, a school ». Mais cela prend du temps et pour son premier spectacle, il va falloir faire avec ce que l'on a sous la main. Quand on s'appelle Balanchine, ce n'est pas un problème, mais cela explique l'effectif un peu étrange de ce ballet (lequel évolua au cours de la création en fonction des élèves présents) et aussi qu'il requiert initialement qu'une technique relativement modeste (même si, au fil du temps, cela se corsa)…
Le 9 juin 1934, une première version est présentée, et le 1e mars 1935 à l'Adelphi Theatre de New York, l'American Ballet en donne la première version « professionnelle ». Serenade tient donc du labo d'élaboration du style classique mais vu du côté des danseurs comme Apollo l'est du côté chorégraphe. En somme les deux faces de l'invention d'un style. Ce qu’a remarquablement pressenti Bruno Bouché en composant ce programme.
Répétitions Sérénade - Photos © Agathe Poupeney
Cette inscription dans la généalogie de cette modernité particulière qu'est le « classique » donne à ce ballet une place particulière dans une carrière et Gil Harush auquel Bruno Bouché s'est adressé pour donner sa version de Serenade ne dit pas autre chose quand il en parle : « Je me souviens que ce matin-là, je marchais dans le couloir en entendant des instruments à cordes traverser les murs du studio comme s’ils n’existaient pas. J’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre ronde de la porte et j’ai vu les filles de ma classe se tenir en sixième position avec de longues jupes blanches. Devant elles, Madame Dalia Dvir, la directrice des répétitions, le bras droit tendu vers le ciel et les mains pliées comme pour cacher les rayons du soleil. C’est en effet la scène d’ouverture de la Sérénade de George Balanchine, enveloppée des arômes les plus raffinés de la musique de Tchaïkovski. Madame Dalia Dvir m’a invité à entrer. »
Et Gil Harush est effectivement entré, à ce moment là, dans son état de danseur… Réinventer sa propre version de Serenade correspond donc à revisiter tous ces liens qui se tissent à travers cette œuvre non seulement avec ce drôle de Mister B mais aussi avec l'idée même de la danse. Au-delà de cette expérience première, quand Bruno Bouché, qui savait que c’était « l’un de (s)es rêves personnels » l’invite à composer SA Sérénade, Harush découvre que s’ouvrent dans son monde intérieur les portes de « l’hôtel de son cœur ». Se pose alors à lui la question de l’amour. Pourquoi on aime ? Qu’est-ce qu’on aime chez l’autre ? Qu’est-ce qu’aime l’autre en vous ? Ces questions, il les pose alors aux danseuses et danseurs du Ballet de l’OnR. Ceux-ci lui envoient alors des textes, chansons, sérénades qu’ils auraient aimé se voir dédiés et qui vont devenir le sous-texte de cette nouvelle Sérénade.
Répétitions Pour le reste - Photos © Agathe Poupeney
Alors après ? Car voici un programme composé de deux réflexions de jeunes chorégraphes sur ce qui les a fait comme tels, soit des artistes s'exprimant grâce à ce style particulier que l'on appelle « classique ». Il y a là une heure de spectacle – ce qui n'est pas assez pour une soirée de ballet – et cette ombre si vaste de Balanchine. Alors, que faire ? Avec une humilité certaine, Bruno Bouché propose Pour le resteet en dit : « j’aimerai donner toute confiance à la danse pour dire notre solitude, nos besoins paradoxaux d’indépendance et de présence de l’autre. » et cite alors le poète Rainer Maria Rilke « Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. » Comme le constat qu'au delà des styles, de l'histoire de l'art, des aventures personnelles, il reste un mystère irréductible de la danse, qui ne se perçoit jamais mieux que dans ce moment où quelque chose de l'émotion intime s'exprime entre les êtres. George Bernard Shaw dans un méchant aphorisme en dit : « La danse, une expression verticale pour un désir horizontal », Nina Simone préfère en chanter Wild is the Wind. Et, entre autres pages de Tchaïkovski, c'est cette chanson que choisit Bruno Bouché dans son Pour le reste. Belle conclusion.
Philippe Verrièle
Du 13 au 18 janvier à l’Opéra de Strasbourg ; les 26 et 28 janvier à La Filature, Mulhouse.
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