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Michel Kelemenis nous parle de « Versus »

Après Magnifiques vu récemment au Festival de danse de Cannes (lire notre critique), Michel Kelemenis crée Versus, un duo à quatre corps, un moment suspendu arraché à l’écoulement du temps. Il nous en livre, dans cet entretien exclusif, quelques secrets. A voir du 9 au 13 janvier à Marseille.

DCH : Comment est né Versus ?

Michel Kelemenis : Le point de départ de Versus vient de l’envie de travailler sur un duo, une petite forme. Bien sûr, des duos on en a vu mille. Je souhaitais donc revenir, après des pièces très bordées, soit par un support de narration, soit par une thématique très ancrée dans l’actualité, qui plaçaient les spectacles récents à un certain niveau de lisibilité, sinon narrative, du moins assez immédiate, sur des questions de l’ordre chorégraphique. Ainsi m’est venu le désir d’un duo qui ne porterait pas tant sur le contenu narratif du duo que sur sa structure même. Aussitôt s’est alors imposée l’idée d’un duo à quatre corps. Curieusement, j’avais besoin de plus de deux corps. Il y a eu un titre préalable dans une approche plus expressive qui était « Le Ravissement », mais me semblait un peu mou et évanescent. Finalement Versus l’a éclipsé, car il y a le « contre » de l’opposition et du rapprochement. Et ce duo à quatre corps est devenu pour moi un duo d’aimants au double sens de ce terme. J’ai souhaité travailler uniquement sur cet aspect avec deux hommes, deux femmes, dans l’idée de fabriquer une sorte de déroulement permanent où l’axe principal est la notion de substitution, et comment nous assistons, nous spectateurs, à une écriture en duo toujours permanente, toujours versatile.

DCH : Justement, parlez-nous de votre écriture spécifique pour ce duo…

Michel Kelemenis : Un duo à quatre corps n’est pas deux fois deux. Il y a beaucoup d’effets, soit la lenteur, soit l’accélération très rapide, ce qui fait qu’il est troublant de percevoir tant d’énergie, de suivre une seule forme qui se développe, tout en sentant une vitalité folle grâce aux substitutions. Évidemment, je m’agite un peu moins aujourd’hui, j’ai donc tendance à solliciter chez les danseurs des éléments gestuels pour tracer un geste qui se déploie. Nous avons beaucoup travaillé sur l’idée que ces duos devaient être interchangeables donc, dans le procédé toutes les partitions sont apprises en double distribution. La chorégraphie s’est organisée comme ça, et même si ces matières dansées peuvent paraître hétérogènes, j’ai ajusté des petits niveaux de sens sur ce que ces rencontres peuvent induire. Dans la proximité qu’offre le dispositif, la forme stylisée sollicite en chacun·e son propre imaginaire galant, interroge son goût, sa relation au charnel. Dans un continuum, au fil de la pièce, les artistes se substituent les uns aux unes aux autres. Indifféremment les couples se forment, qu’ils soient de femmes, d’hommes, ou mixtes. La distance variable entre les corps devient la force à observer : elle est l’espace des suspensions, celui où l’imaginaire des spectateurs – vaste hors-champ incontrôlable – s’immisce. La pièce s’écoule alors que changent les partenaires d’émoi, chacun·e figurant pour chaque autre un mirage plutôt qu’une réalité.

DCH : Vous écrivez dans la présentation de Versus que « Le protagoniste principal est le désir, son avènement, sa chute… » 

Michel Kelemenis : Certes, il y a la question du désir, mais le désir n’est jamais entier. Aller l’un vers l’autre ne suffit pas, évidemment. Donc il y a des situations de combat à l’intérieur de Versus, mais ce qui m’a fasciné c’est d’être emmené par le bout du nez dans une écriture, où la continuité est toujours changeante. En tout cas, nous avons atteint un point, avec mes quatre perles, de magnétisme, presque d’hypnotisme, à être toujours dans la continuité d’une écriture, et de ce fait, ils ne sont jamais tout à fait les mêmes ni tout à fait les autres, dirais-je pour paraphraser Verlaine.Versus tourne autour de ces maximes un peu faciles qui disent que « les contraires s’attirent » mais « qui se ressemble s’assemble ». J’ai un peu joué de ça. Tout est fait pour mener les spectateurs dans la notion d’une écriture qui se développe.

DCH : Qu’avez-vous prévu comme scénographie ?

Michel Kelemenis : J’ai situé notre action dans un espace très exigu, un petit carré de 5 X 5m, donc 25m2, où les danseurs sont présents en permanence, et j’ai imaginé que les spectateurs sont dans une très grande proximité comme si leurs yeux étaient les murs d’une chambre d’hôtel qui voient défiler de manière permanente des relations, deux à deux, sans cesse reconfigurées, heureuses ou malheureuses, etc. Nos quatre interprètes sont donc très proches de spectateurs qui ont le sentiment d’être dans une proximité inhabituelle avec la danse. J’ai considéré que le fait d’être proche ne voulait pas dire, faire petit ou faire moindre. Donc c’est une proposition qui tente d’offrir au spectateur, cette incroyable rencontre qui est pour moi quasi quotidienne, à savoir le danseur dans son déploiement le plus grand, mais à un mètre de soi. Il y a donc quelque chose, de très impressionnant à les voir de si près. 

DCH : La jauge doit être restreinte je suppose ?

Michel Kelemenis : La jauge doit être d’environ 150 à 160 spectateurs. Avec un petit gradinage et des coussins au sol, moins confortables mais plus susceptibles de provoquer une émotion intense pour le spectateur qui sera littéralement aux pieds des danseurs. J’avais envie de trouver une autre modalité de spectacle, et c’est un format pratique pour tourner dans les petites villes.

DCH : Votre pièce, 8m3, créée pendant l’épidémie de COVID a-t-elle eu une incidence sur cette idée d’espace restreint ?

Michel Kelemenis : Je ne sais pas. Mais en tout cas, je me suis rendu compte qu’avec 8m3 on pouvait raconter beaucoup de choses dans cette contrainte, et le solo d’Aurore Indaburu, qui danse aussi dans Versus et ne durait que 12 minutes, est un récit de grande envergure dans ce tout petit espace. C’est surtout venu du fait que j’ai des désirs d’écriture, et, pour ne pas me répéter, je dois différencier mes logiques d'approche en termes de productions. C’est pourquoi il y a toujours un programme jeune public dans la compagnie, puis des pièces de grand plateau type Magnifiques, et des propositions qui peuvent circuler dans un territoire, que l’on peut proposer dans des espaces moins normés, moins habituels, moins équipés, mais toujours cadrés par l’idée que je demande à mes danseurs beaucoup d’efforts donc il leur faut une sécurité, avec des sols appropriés. Et quitte à me déplacer, je préfère porter une œuvre, dans son intégrité, quelque part, plutôt que créer une matière qui va s’adapter à l’in situ. 

DCH : Vous citez Aurore Indaburu, mais sa sœur jumelle, Claire, fait partie de la distribution de ce duo à quatre corps. Est-ce pour ajouter du trouble au double ?

Michel Kelemenis : Ces deux danseuses jumelles font partie de la compagnie depuis longtemps. Ce qui a toujours été troublant pour moi en les voyant danser c’est de constater à quel point elles sont identiques mais différentes. Très ressemblantes dans leur ampleur, dans leur emprise dans l’air et tellement dissemblables. Mais pour autant, les faire danser ensemble fait moins apparaître leur ressemblance de corps que leurs différentes façons d’aborder un même mouvement. Quand on sait qu’elles sont jumelles, c’est un endroit de trouble pour le spectateur, mais en réalité on les voit comme disparates. 

DCH : On sent que les danseurs et danseuses de votre compagnie sont très importants pour vous…

Michel Kelemenis : C’est très agréable d’être avec ces danseurs qui sont merveilleux, absolument magnifiques, généreux, engagés dans le mouvement, qui s’entendent bien. Une de mes préoccupations majeures lors de mes sélections d’interprètes, est d’être certain qu’ils s’apprécient, qu’ils aiment être ensemble, c’est très important pour moi. C’est un gage de réussite dans la réalisation du spectacle.  

DCH : Quelle musique va accompagner cette création ?

Michel Kelemenis : J’ai incité Angelos Liaros Copola à aller dans sa tête de musicien électro un peu « dark » pour nous plonger dans un environnement qui devient l’environnement commun des danseurs et des spectateurs, et si je simplifie, c’est comme évoquer le brouhaha ambiant, dans lequel se déroule une histoire. Elle a été composée spécifiquement pour Versus.

J’ai rencontré Angelos pour Coup de grâce une pièce sur les attentats de Paris en 2015. Je sortais de la création de Barbe-bleue au Grand Théâtre de Provence, ça s’était bien passé, quand soudain nous avons appris que 130 personnes avaient été assassinées. Bien sûr, tout le monde se souvient de ce qu’il faisait à ce moment là, comme le 11 septembre 2001. Pour moi, ça s’est traduit par : certains dansent d’autres tuent. D’où la création de Coup de grâce. Quelle pourrait en être la musique ? J’ai cherché pendant très longtemps sur Internet – ce que je ne fais jamais –  avec des mots clés comme tension, épaisseur inquiétude peur, effroi, et je suis arrivé sur la scène électro berlinoise. En écoutant des choses qui m’apparaissaient anecdotiques, j’ai entendu quelques éléments d’un label qui m’intéressait. Et en lisant je me suis aperçu qu’il y avait un bonhomme ingénieur et producteur du son, qui garantissait une sorte de qualité à tout ça. Et en cherchant à partir de son nom et son aka, je l’ai retrouvé. J’ai écouté ce qu’il composait et là, match total ! Je l’ai contacté, il n’avait jamais composé de musique de scène et celle de Coup de grâce est un chef-d’œuvre absolu. Avec Angelos s’est tissé un rapport de grande confiance et de facilité d’échanges. Nous avons également créé Magnifiques ensemble, pour les ajouts au Magnificat de Bach. Pour Versus, l’idée est de fabriquer un espace qui devienne un peu magnétique, qui créerait un volume unique pour englober danseurs et spectateurs. 

DCH : Vous précisez dans votre dossier de présentation que Versus est une création de  KLAP Maison pour la danse avec le CCN de Rillieux-la-Pape. Pourquoi ?

Michel Kelemenis : La pièce est créée à KLAP avec le soutien de quatre Centres Chorégraphiques Nationaux. Je n’avais jamais fait appel aux CCN depuis que KLAP existe, mais pour une petite forme j’ai pensé à leur poser la question, et Rillieux-la-Pape, Belfort, Nantes et Roubaix ont accepté. Rillieux ne pouvant toujours pas recevoir de grandes résidences de finalisation, nous avons fléché leur soutien vers la résidence de KLAP. Donc c’est curieux mais c’est vraiment en coréalisation et en partenariat avec le CCN de Rillieux la Pape, que les quatre représentations pourront avoir lieu à KLAP.

DCH : Comment arrivez-vous à mener de front vos créations, votre compagnie et la direction de KLAP ?

Michel Kelemenis :J’ai plus de travail et de veille que je ne devrais en avoir. Mais conjuguer création et direction c’est compliqué. Je me débats avec ça depuis le début de KLAP. J’ai senti que pour Marseille je pouvais imaginer un grand projet de danse et par chance j’ai été suivi. Mais j’ai dû le définir moi-même dans cette superposition de CCN et de CDCN. Il n’y a pas beaucoup d’autres projets qui peuvent revendiquer une dynamique de compagnie comme la mienne – sans me comparer à Mourad Merzouki ou Angelin Preljocaj –  mais en même temps accueillent plus de soixante compagnies par an.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Places à gagner pour ce spectacle le 9 janvier

Du 9 au 12 janvier à KLAP Maison pour la Danse, le 13 janvier à 17h au MUCEM, Marseille.

Distribution
Conception générale, chorégraphie, scénographie : Michel Kelemenis
Interprètes : Aurore Indaburu, Claire Indaburu, Anthony La Rosa, Max Gomard
Musique : Angelos Liaros Copola
Costumes : Camille Penager

Production : Kelemenis&cie
Coproduction : CCN de Rillieux-la-Pape & KLAP Maison pour la danse résidence de finalisation ; Viadanse - CCN Belfort ; CCNN - Nantes, dans le cadre de l’accueil studio, dispositif soutenu par le ministère de la culture / DRAC Pays de la Loire ; Ballet du Nord - CCN & Vous - Roubaix

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