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Kor’sia : « Mont-Ventoux » à voir au Temps d'Aimer

Devant l’incertitude de l’avenir, Kor’sia nous invite, sept siècles après Pétrarque, à gravir la montagne pour laisser derrière nous les ombres du passé et reconstruire un monde nouveau. À voir au festival Le Temps d'Aimer le 8 septembre 2024.

« …parce que les mouvements du corps sont manifestes, tandis que ceux de l’âme sont invisibles et cachés. » 

Cette phrase de Pétrarque, 32 ans, ecclésiastique et poète déjà renommé, est l’une de celles qui décrit son Ascension du Mont Ventoux avec son frère, le 26 avril 1336, à son directeur de conscience le Père augustinien Dionigi dei Roberti. Bien entendu, il faut comprendre dans cette lettre la métaphore d’une élévation spirituelle et d’un parcours initiatique, mais aussi l’ouverture vers l’Humanisme de la Renaissance par son désir de lumière(s) et son regard sur la nature et l’environnement.

Le collectif madrilène Kor’sia, dirigé par les chorégraphes italiens Mattia Russo et Antonio de Rosa, n’a pas choisi au hasard ce thème et ce lieu mythique pour sa toute nouvelle production Mont Ventoux, mais bien pour ses résonances avec notre monde d’aujourd’hui en pleine bascule climatique, sociétale et mondiale. 

Dès le départ, Mont-Ventoux joue à guichets fermés pourrait-on dire. Une baie vitrée rideaux tirés barre le plateau, tandis qu’un brouillard rasant se répand au sol. Le blizzard souffle et se déchaîne. Quand le rideau s’ouvre on aperçoit un puis sept interprètes, très « gender fluid » qui se meuvent au sol dans une gestuelle caoutchouc, frôlant parfois l’érotisme, parfois l’animal, dans ce lieu indéterminé mais très pictural, entre le vivarium et le sauna, où hommes et femmes s’enroulent et se déroulent, s’enveloppent et se développent dans des contorsions lentes et des chutes amorties. Bientôt s’affiche sur le mur du fond le Ventoux, et la montagne apparaît en majesté, vaguement menaçante. La baie vitrée recule et nous voici projetés sur les pentes escarpées tandis qu’une alarme retentit.

Galerie photo © Maria Alperi

Changement de décor du tout au tout. Une rue signalée par un lampadaire. La musique, signée Alejandro da Rocha, pulse au moins à 120 bpm, et les danseurs, résolument orientés d’Ouest en Est, ou de Jardin à Cour, marchent d’un pas pressé dans un monde qui s’emballe jusqu’à la course. Parfois un corps surgit, se tord, se congestionne, et repart à l’attaque, emporté et contraint par ce rythme implacable à passer et repasser tandis que la conscience semble s’envoler. Un Christ tout juste descendu de la Croix s’étale dans un chariot de supermarché. La lumière se fait violente, chirurgicale, stroboscopique, disséquant les corps et éclatant les gestes. Alternant mouvements arrêtés et fondus, entre hip-hop et contorsion, vocabulaire classique esquissé et physicalité actuelle, chutes et portés surprenants, ils créent dans une scénographie à l’esthétique soignée et aux lumières travaillées, une véritable ambiance, une chorégraphie à la fois agressive et sensuelle, une danse de l’épuisement et du déchirement. Derrière la vitre, un homme apporte une échelle qui reste à l’horizontale, symbole de cette ascension impossible, dans cet espace déconnecté de toute nature, puis repart. Un homme, cette fois, tombe dans un caddie, tandis que le monde continue de pulser autour de lui comme une mécanique inexorable. L’homme à l’échelle revient, mais la redresse à la verticale, et soudain, les danseurs ralentissent et vont de Cour à Jardin, le rideau s’ouvre et les pentes raides s’éloignent peu à peu.

La musique se fait plus mélodieuse, tandis qu’une femme en armure derrière la vitre s’emploie à se défaire de sa carapace, et que retentissent des chants grégoriens très arrangés. C’est alors l’unisson qui l’emporte, tours, courses et ports de bras se succèdent dans une dynamique extraordinaire, très actuelle, de cette jeunesse décidée à ne pas se faire voler ni son avenir, ni son ascension. Tout en rebonds il s’agit de dépasser ses limites physiques et morales, pour danser comme pour grimper ! Les corps hyperconnectés et expressifs des danseurs et danseuses s’autorisent des pliures inédites, des courbures insolites, des moteurs du mouvement ahurissants. Les interprètes, séparés par la baie vitrée, semblent s’accorder à la phrase de Pétrarque citée ci-dessus. La fin en ombres chinoises et une gestuelle d’inspiration classique sur un coucher de soleil lumineux, semble enfin dépasser la dichotomie du corps et de l’âme, dont la lettre de Pétrarque se fait l’écho lointain.

Agnès Izrine

A voir le 8 septembre à 21h. Festival Le Temps d'Aimer, Gare du Midi.

Vu le 1erdécembre 2023, Festival de Danse de Cannes Côte d’Azur France, Palais des festivals.

Création récompensée par le Prix FEDORA – VAN CLEEF & ARPELS pour la Danse 2023.

Distribution
Direction artistique
: Mattia Russo et Antonio de Rosa
Chorégraphie: Mattia Russo et Antonio de Rosa en collaboration avec les danseurs
AvecBenoît Couchot, Angela Dematte, Samuel Dilkes, Emilie Leriche, Helena Olmedo, Andrew Scott, Dovydas Strimaitis et Ana Van Tendeloo.
Dramaturgie: Agnes Lopez Rio 
Musique: Composition originale Alejandro da Rocha et divers artistes
Scénographie: Amber Vandenhoeck en collaboration avec Mattia Russo et Antonio de Rosa
Idée et direction créative des costumes :Luca Guarini en collaboration avec Aitor Goikoetxea, Levi’s (denim) Rombaut (chaussures)   
Lumières: Amber Vandenhoeck en collaboration avec Mattia Russo et Antonio de Rosa
Direction technique: Meritxell Cabanas

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