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Festival Immersion : Wanjiru Kamuyu et Gaëlle Bourges
A L’Onde, les deux chorégraphes se réinventent dans des ambiances oniriques.
Le festival Immersion à L’Onde s’est ouvert avec deux premières, dont chacune a vu la chorégraphe concernée changer de cap par rapport à une identité artistique longtemps affirmée. Et avec un rappel des réalités du terrain, quand le directeur, Joël Gunzburger, s’adresse au public pour expliquer pourquoi une semaine de danse a son importance dans une saison. Oui, il faut sortir de ses habitudes et c’est possible encore et toujours, même pour des abonnés d’un certain âge, très majoritaires dans la salle.
Autrement dit, avec ce festival Gunzburger œuvre en faveur de la danse. Et la réaction chaleureuse du public après chacun des spectacles montre que ses efforts sont récompensés. Immersion s’est donc ouvert avec les nouvelles créations de Wanjiru Kamuyu et Gaëlle Bourges, et il est amusant de constater que Bourges part sur une idée autobiographique, idée qu’elle emprunte à un roman qui situe un être humain déraciné dans la tentative de comprendre qui il est. Ce qui était jusqu’ici la démarche de Kamuyu, notamment dans son solo autobiographique An Immigrant’s Story. Intéressant aussi de constater que dans les deux cas, l’univers et la démarche très documentée voire documentaire font place à des ambiances oniriques. Avec des résultats très différents.
Les « Ombres fragmentées » de Wanjiru Kamuyu
Dans son solo récent, An Immigrant’s Story, Kamuyu s’ntéressait aux problèmes d’acculturation des migrants et expatriés, en partant de sa propre expérience de vie sur trois continents. Avec Fragmented Shadows elle conçoit sa première chorégraphie qui n’est pas un solo, où elle « interroge le corps dans sa capacité à se libérer de l’enchevêtrement des histoires héritées, traversées, refoulées ».
Pour faire table rase du passé, Kamuyu, Elodie Paul et Sherwood Chen adoptent un état embryonnaire, amphibien ou batracien, au plus près du sol, la colonne vertébrale en fusion horizontale avec la terre et les extrémités s’enchevêtrant dans leur lévitation. Chen pourrait même passer pour un butôka en version accéléré, mais non moins lié aux éléments et au cosmos. Mais dans toute son étendue dans le temps et son éloignement atmosphérique, la cérémonie de purification est cependant assez étendue et peine à transmettre ses mantras au public.
C’est surtout le nouveau départ qui peut ensuite l’embarquer, le second acte en quelque sorte, où les gestes, constellations et lumières se font plus inventives. Une dose de spiritualité apporte sa liberté, sous des bannières kényanes qui renvoient à nos origines les plus lointaines, peu importe si le berceau se soit finalement trouvé en Afrique ou pas. Mais Kamuyu avait des choses bien plus originales et profondes à nous communiquer avec ses créations précédentes. Les ombres nous narrent des histoires plus passionnantes quand elles sont fragmentées, comme le titre de la pièce le suggère. Certes, on ne va pas regretter, sur le fond, que le trio de Fragmented Shadows termine son voyage en harmonie. Mais les lieux communs de son parcours laissent finalement peu d’empreintes. Aussi ce trio a encore un grand bout de chemin à faire.
Galerie photo Austerlitz © Danielle Voirin
Gaëlle Bourges sur les traces d’Austerlitz
Gaëlle Bourges est l’historienne de l’art parmi les chorégraphes et s’est fait un nom pour avoir centré ses pièces, joyeusement documentaires, autour d’œuvres historiques. Austerlitz change la donne. Gaëlle Bourges adopte ici une démarche à la fois autobiographique et collective. Chacun des sept interprètes, dont la chorégraphe, a livré ses souvenirs personnels : images d’enfance, de jeunesse, de rencontres artistiques, de rêves et de révélations, du premier cours de ballet à des rencontres avec Steve Paxton ou Simone Forti, de terrains de sports en banlieue aux secrets familiaux liés à la guerre, de la danse serpentine de Loïe Fuller à Aby Warburg et ses observations sur des rituels à serpents au Mexique. Et Austerlitz ? Non, ils n’y sont pas allés. Le titre rend hommage à Jacques Austerlitz, héros du roman éponyme de W.G. Sebald, qui tente de reconstituer le récit de ses origines.
La voix de la narratrice en off, une seule et même pour l’ensemble des souvenirs anonymisés, crée l’unité et gomme toute hiérarchisation entre le quotidien et la grande Histoire. Tout s’entremêle et crée un récit universel, où l’histoire de l’art entre en débat avec, entre autres, l’histoire coloniale. Où tout résonne à travers un cube blanchâtre dans lequel apparaissent, au fil d’images énigmatiques, sept pantins fantomatiques. Tels des revenants ou un chœur antique, ils exécutent une série de danses très stylisées, aux réminiscences diverses et variées, du baroque au punk. Aussi pointent leur nez certaines ambiances oniriques qu’on liait autant à Marcos Morau qu’à Romeo Castellucci. Passionnant sur le fond, intrigant par sa démarche et envoûtant par ses images, Austerlitz est avec certitude l’un des spectacles incontournables de cette saison.
Thomas Hahn
Spectacles vus le 9 novembre 2023 à L’Onde de Vélizy-Villacoublay
Fragmented Shadows
Chorégraphie Wanjiru Kamuyu avec Sherwood Chen, Elodie Paul
Interprétation Sherwood Chen, Wanjiru Kamuyu, Elodie Paul
Musique originale LACRYMOBOY
Costume et scénographie Birgit Neppl
Création lumière Cyril Mulon
Assistant à la mise en scène David Gaulein-Stef
Austerlitz
Conception et récit Gaëlle Bourges
Avec Gaëlle Bourges, Agnès Butel, Camille Gerbeau, Stéphane Monteiro, Alice Roland, Pauline Tremblay, Marco Villari
Accessoires Gaëlle Bourges, Anne Dessertine
Costumes Anne Dessertine
Chant tou.te.s les performeurs + KrYstian
Images projetées archives (personnelles et autres)
Lumières Maureen Sizun Vom Dorp
Musique KrYstian & Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK
Prochaines dates :
28 novembre 2023 Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne
13 et 14 décembre 2023 Paris, Le Carreau du Temple
18 janvier 2024 Théâtre Public de Montreuil – CDN
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