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« Les Nuits d'été » de Christophe Garcia
Plus que la prolongation d'un projet engagé il y a deux ans, il s'agit d'une nouvelle version de la création du chorégraphe qui, par ses conditions de productions et les collaborations qu'elle suscite, fait apparaître de nouvelles possibilités et de nouvelles perspectives.
C'est à ce moment précis que l'effort que représentent ces Nuits d'Eté de Christophe Garcia apparaît le mieux. Il faut arriver aux deux tiers de l'œuvre, quand les six arias qui composent le cycle composé par Hector Berlioz ont, non seulement été interprétées mais encore se diluent dans le tissu sonore qu'étend la trame de la musique électro de la composition additionnelle de Laurier Rajotte, pour comprendre l'enjeu de cette création. Les danseurs ont déjà aidé les six musiciens qui interprètent la transcription de la musique à déplacer leurs instruments, dégageant un genre de butte vaguement herbeuse sur laquelle ils étaient installés, et tous, danseurs, instrumentistes et chanteuse, se tiennent resserrés à haut de jardin.
Et soudain les voilà tous qui partent dans une course aussi folle que collective, un grand tourbillon qui dépose quelques corps comme la laisse de mer après une tempête. Sensation forte d'une collectivité traversée par la passion. C'était sans conteste le but du chorégraphe, et c'est sur ce point une indéniable réussite dont quiconque connaît le travail avec des musiciens au plateau peut mesurer l'ampleur, a fortiori dans le contexte de production particulier de cette pièce inhabituelle.
Christophe Garcia a le goût des projets hors normes : on se souvient de cet établissement hôtelier en activité devenu lieu de spectacle (Niebo Hôtel, 2020)… Cette fois pour être moins spectaculaires, les difficultés n'étaient pas moindres. Initialement, il y avait une proposition pour six danseurs qui avait été donnée dans la nef de Collégiale Saint-Martin d'Angers en 2021. Or, le chorégraphe avait alors annoncé une nouvelle version avec réduction de la partition et augmentation de l'effectif par adjonction de celui de l'Opéra d'Avignon. Pour être juste, la présente réalisation en rabat sur l'ambition initiale : aux six danseurs de la compagnie La Parenthèse devait s'adjoindre autant d'interprètes du Ballet de l'Opéra d'Avignon, or ils ne sont que sept… Mais cette restriction dans l'ambition témoigne plutôt de l'intérêt du projet ! Ici, conseiller la lecture des toutes petites lignes du programme, celles que le spectateur ne lit jamais : la liste des co-producteurs permet de mesurer l'enjeu. Qu'une compagnie indépendante puisse rassembler Opéra de rennes, CCN de Nantes, CCN Malandain Ballet Biarritz, CCN Ballet de l’Opéra national du Rhin, KLAP Maison pour la danse et Théâtres Municipaux d’Angers relève de l'exploit. Les uns (Avignon) proposant les costumes, les autres (Rennes) le décor, etc… Et jour de la première où – catastrophe – deux danseurs de la compagnie sont blessés, cette collaboration a permis qu'ils soient remplacés par deux confrères (le mot est dès lors précieux) du ballet avignonnais… Pour les musiciens, il a fallu faire appel à des intermittents, mais quand même. Cette collaboration pour produire un « grand » projet est exemplaire.
Galerie photo © JC Verchere
Le déroulement de ces Nuits d'été en traduit assez la nature complexe. Ainsi, pour partie, le public pouvait-il rejoindre la salle par l'entrée des artistes, traversant les coulisses et le plateau où, improvisant, des danseurs l'accueillaient. Expérience singulière pour la production d'un opéra. Ainsi ce choix d'une mezzo-soprano, Anna Reinhold. Le dilemme pour l'interprétation de l'œuvre tient au choix d'une seule tessiture. La souplesse du projet a permis de trancher en choisissant une chanteuse, au timbre clair, à la diction parfaite, proche de la mélodie mais avec de la puissance et une belle présence, soit une chanteuse baroque ! Ainsi l'option d'une réorchestration de l'œuvre s'imposait vu l'effectif requis, mais elle existe en version piano… Or, le travail surprenant de Julien Giraudet et la direction de Nicolas Simon permettent de lire autrement la partition. Cette relecture aurait été inaccessible à une compagnie indépendante et n'aurait sans doute pas été osée par des institutions ayant pignon sur rue du monde lyrique.
Passionnant travail collectif, donc. Pour autant, la proposition « originelle », celle de 2021, possédait sur le strict plan chorégraphique, plus de lisibilité dans la structure d'ensemble. La montée vers une passion commune au groupe, la structuration des ensembles, et les citations érudites à Faune Fomitch (1988) de Michel Kelemenis ou à Michel Fokine se perdent un peu dans la multiplicité des pistes offertes, entre musique, projection vidéo, lumières sophistiquées (Simon Rutten)… Il manque d'avoir renforcé la trame générale au-delà d'une évocation de La Carte du tendre qui apparaît comme un prétexte un peu théorique. Plus sèche et concentrée sur la danse, la version princeps possédait une droiture séduisante qui s'est ici diluée. Mais, à tout péché miséricorde – et l'on retrouve cette logique étonnante de collaboration entre structures – cette version « enrichie » séduit manifestement un public. Elle offre une perspective paradoxalement moins impressionnante parce que plus conforme à l'attente de spectateurs qui ont des habitudes.
Champfleury écrivait que le public qui apprécie la pantomime était soit celui qui naïf n'avait pas ouvert de livre soit était devenu naïf d'en avoir ouvert beaucoup : ces Nuits d'été s'adressent à l'immense entre-deux de ceux dont les attentes déçues peuvent détourner des œuvres. Et ce peut être souligné comme une réussite.
Philippe Verrièle
Vu le 20 octobre 2023 à L'Autre Scène, Vedène, dans le cadre de la programmation de l'opéra d'Avignon.
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