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« Femmes persanes » de Bartabas
Dans le cadre de sa série Cabaret de l’exil, le Théâtre équestre Zingaro présente jusqu’à la fin de l’année en cours Femmes persanes, le nouveau spectacle musical, théâtral, poétique et politique conçu et mis en scène par Bartabas.
Avec Bartabas, ce qui est bien, c’est qu’on n’est jamais déçu. Et quand on l’est un tantinet, on est déçu en bien, comme disent les Suisses. C’est le cas avec ce volet voué à l’exil, pour le moment intérieur, des femmes rendues invisibles par le régime patriarcal iranien. Des femmes voilées, voire incarcérées, à l’instar de Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix 2023. L’artiste singulier qu’on prenait pour un macho invétéré révèle, dans cette création à l’actualité brûlante, sa part féminine, pour ne pas dire sa part d’ombre. Du coup, certains regretteront, c’est probable, l’absence de prouesses équestres – même s’il en reste –, le manque de hauts faits spectaculaires – quoique le final, tiré par les cheveux et non par les chevaux, vaille la visite au fort d’Aubervilliers – et, les esprits épris d’anecdote, l’abstinence dramaturgique – bien que montures et écuyères ne se contentent pas de tourner en rond.
La structure est classique, avec une alternance obstinée de temps faibles et forts. L’arène, pour cette fois, est sanglante, métamorphosée en piscine – comme celle, à la sortie du métro, substituée au parking, construite pour les JO. Ce décor miroitant et tépide, fait sans doute référence à la mer caspienne plutôt qu’aux Saintes-Maries camarguaises. Cette contrainte, légère en apparence – et Bartabas s’en était imposées d’autres, comme Darshan (2009), risquée financièrement en raison de la jauge limitée aux spectateurs pouvant tenir au centre d’une piste tournoyante, audacieuse, scénographiquement, du niveau d’un Gordon Craig, d’un Polieri, d’un Bob Wilson – devient pour nous un peu gênante à la longue. Ceci dit, l’intention de l’auteur est louable, surtout par les temps qui courent : « Oui, il fut un temps où, à cheval, les guerrières scythes récitaient leur destin et déjà leur parole témoignait d’une conscience rebelle (…) où la femme régnait et dirigeait les affaires de la communauté (…) où chantaient les poétesses le visage toujours découvert » déclare-t-il dans la feuille de salle. Et, comme de bien entendu, les trouvailles ne manquent pas.
Galerie photo © Hugo Marty
Si les cascades sont ici moindres, la qualité artistique est bel et bien au rendez-vous, du début à la fin. Les costumes chatoyants signés Chouchane Abello Tcherpachian y contribuent. De même que les bruiteurs futuristes imaginés et fabriqués par Catherine Pavet, les effets pyrotechniques extrêmement subtils dispensés à deux moments du spectacle, la caravane, métaphore de l’exil, avec ses fardeaux, ses ballots, son barda à dos de bêtes, le casting de chevaux, d’ânes et de mules (Corto, Dun, Famoso, Guerre, Hamadan, Harès, Héragone, Hercule, Houblon, Inca, Isope, Ispahan, Jade, Kaboul, Kandahar, Karaj, Kawa, Pablo, Parade, Qom, Raoul, Tabriz, Téhéran, Vino, Zurbaran, Chiraz), les habituels volatiles – des cannetons marchant au pas de l’oie – et, en sus, un quatuor de gallinacés – des paons blancs braillant en rythme. La chanteuse et les musiciennes invitées sont excellentes (Firoozeh Raeesdanaee, Shadi Fathi, Farnaz Modarresifar, Niloufar Mohseni). La danseuse (Sahar Dehghan) se produit vêtue de blanc, façon mevlevi puis dans une magnifique robe rouge vif. L’acrobate capillotractée (Eva Szwarcer) exécute un numéro circassien qui sort de l’ordinaire.
Ce volet du Cabaret de l’exil est donc à la fois lyrique, entrecoupé de poèmes écrits par des femmes et, fort heureusement comique, avec la cavalcade accélérée de dignitaires enturbannés rappelant le cinéma burlesque et un grotesque à la Benny Hill.
Nicolas Villodre
Vu le 20 octobre 2023 au Fort d’Aubervilliers
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