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ZOA #12, un festival de découvertes singulières
La Zone d’Occupation Artistique présente des artistes qui interrogent le corps et nos identités, au défi des canons chorégraphiques.
C’est l’un des festivals les plus imprévisibles qui soient. Et ça commence par les noms des artistes que Sabrina Weldman découvre dans on ne sait quelles profondeurs et fait monter à la surface. Alessia Luna Wyss, Camilla Przystawski, Virginie Mielniezuck, Mansoureh Aalaii… En portant de tels noms, on pourrait bien sûr faire de l’art tout à fait conformiste. Mais le fait est que ce festival qui voit aujourd’hui sa 12e édition, s’attache à faire jaillir des formes artistiques libres, où ne compte que ce qu’on a à dire et à expérimenter, sans devoir se soucier de la viabilité commerciale d’un projet artistique. Autrement dit, l’artiste y fait de l’art et pas un produit. En témoigne aussi la présence de beaucoup de petites formes, ce qui souligne encore le caractère de grande mobilité des corps et des esprits dans la Zone d’Occupation Artistique.
En même temps, ZOA reste une enseigne fragile, à la manière des insectes qui irriguent le sol et le rendent fertile, mais sont les premiers à souffrir des sécheresses et des changements climatiques. ZOA est, comme le dit sa directrice, « un tremplin à Paris pour les artistes émergents ». Trois lieux se transforment en zone d’occupation, chacun pour une soirée à plusieurs propositions : Point Ephémère, le 100ecs et l’Etoile du Nord. Avec, en arrière-plan, le soutien continuel à Vincent Lacoste qui investit certains EHPAD pour rapprocher les seniors de la danse de nos jours, les fait bouger et les amène au spectacle.
A l’Etoile du Nord, ZOA se joint, en ouverture, au festival Avis de Turbulences dont ce sera la soirée de clôture, belle façon de se passer le relais. Cette soirée commune se décline en un duo et un solo, où Alessia Luna Wyss et Camilla Przystawski combinent des techniques d’art martial avec leur approche de la danse contemporaine, remettant en question la présentation conventionnelle de l’interaction entre femmes. Ensuite, Vincent Dupuy interprète le solo Fuglane, conçu par Hélène Rocheteau à partir de l’œuvre de l’auteur norvégien Tarjeï Vesaas, Les Oiseaux, texte fondateur pour la chorégraphe. Une perception du monde et de la nature qui est d’une extrême sensibilité.
FUGLANE - Création Hélène Rocheteau 2023 from AS HUMAN PATTERN on Vimeo.
La suite à Point Ephémère, avec Léa Leclerc. Dans son solo Like me, elle interroge notre besoin d’être admiré, reconnu, aimé voire envié qui est le moteur de la plupart des présences sur les réseaux sociaux, industrie qui profite sans la moindre pudeur de cette faiblesse humaine. C’est donc en petite forme qu’elle soulève le même questionnement qu’en ce moment (La) Horde en grand format, à savoir le rapport trouble entre notre identité véritable et l’autre, que nous créons et déléguons à la sphère virtuelle.
Et il semble qu’il y ait un lien direct avec la proposition – et le terme est juste comme il l’est rarement – de Florian Pautasso qui, lors d’une réunion informelle, propose à un petit groupe de spectateurs une série d’expériences imaginaires pour se perdre et être perdu. Alors, un spectateur voit disparaitre sous ses yeux tous les biens qu’il possède et l’hôte suit les trajets possibles d’une lettre d’amour qui n’est jamais arrivée à son destinataire. Il s’agit donc là encore d’interroger notre sentiment d’impuissance et les moyens que nous déployons pour y parer. Léa Leclerc s’intéresse à l’image artificielle qu’on donne de soi, Florian Pautasso demande pourquoi et comment nous nous accrochons aux biens matériels et l’angoisse provoquée par l’idée de perte.
Peut-être que la relation entre Keiko Abe, interprète, et Virginie Mielniezuck, chorégraphe et interprète du duo Ubique peuvent soulager nos angoisses, par leur récit poétique et leurs explorations sensibles sur le corps, comme un jeu dans un jeu, par le geste d’une étreinte et leurs plongées sonores à l’intérieur de leurs corps. C’est comme si elles voulaient ouvrir la voie à La danse du corps, conférence de Mansoureh Aalaii, médecin, chorégraphe et danseuse qui nous parle de ses recherches et réflexions sur le rapport qu’elle établit entre les connaissances (médicales) du corps et le processus créatif en danse, en développant une approche très personnelle de l’enseignement de la médecine et de l’anatomie par et pour la danse. Mais ce n’est pas une conférence pour les spécialistes ou les professionnels ! Au contraire, l’humour d’Aalaii en fait un moment délicieux pour tous.
Thomas Hahn
ZOA -12e édition
Les 10, 18, 19 et 24 octobre 2023
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