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« La Grand Nymphe » de Lara Barsacq
Lara Barsacq poursuit sa route à travers l’histoire des Ballets russes, traçant une voie féminine là où tout est écrit et documenté du point de vue masculin. A ne pas rater à La Briqueterie le 29 septembre dans le cadre du festival Excentriques.
La Nymphe jouit-elle ?
En créant en 1912 L’Après-midi d’un Faune, Vaslav Nijinski cherchait-il le scandale ? Lara Barsacq pose la question, mais ne s’oblige pas à y répondre. Comme dans ses pièces précédentes consacrées aux Ballet russes, l’ancienne interprète de la Batsheva renverse le point de vue sur l’histoire de la danse. Après avoir œuvré pour nous rappeler les rôles importants joués par Ida Rubinstein et Bronislava Nijinska, elle tourne son regard en direction de La Grande Nymphe, personnage excitant le Faune jusqu’à son éjaculation finale, suite au duo séducteur dansé avec Lydia Nelidova. On dit qu’Ida Rubinstein avait refusé le rôle – pour des raisons artistiques. « Et la Nymphe a-t-elle joui aussi ? » demandent Lara Barsacq et sa partenaire Marta Cappacioli. La réponse ne peut qu’être « non, ou bien en secret, peut-être ».
Aussi l’arrière-grand-nièce de Léon Bakst, lequel est une fois de plus le décorateur historique de la pièce en question – mais ici Barsacq n’en fait plus un sujet, ni d’Ida Rubinstein par ailleurs – questionne la condition féminine et la liberté sexuelle. Et une fois de plus, elle croise l’entrée dans l’histoire des Ballets russes avec le vécu des interprètes. Le ton est libre, l’approche ludique et l’histoire vivante comme jamais. La méthode Barsacq se peaufine et devient une signature, un vrai repère dans le paysage chorégraphique, sans prétention et de ce fait abordable même pour un public sans connaissances en matière d’histoire de la danse. Car au lieu de répandre un savoir à partir d’une position de chercheuse, Barsacq amène le spectateur sur le chemin de ses propres explorations et partage avec lui sa propre intimité autant que le making of du spectacle.
La Nymphe, c’est nous-mêmes
Sur le même mode, Barsacq partage avec nous son apprentissage des rollers, et sur les traces des inspirations de Nijinski – vases grecs avec leurs représentations de poses et gestes – va jusqu’à réinventer ces danses en duo avec Cappacioli, laquelle part finalement dans un solo en tant que Nymphe « revenante, un peu zombie », voire « très affamée », en réponse à la question « quelle Nymphe serais-tu », alors qu’un trio féminin interprète le Prélude à l’après-midi d’un Faune de Debussy. Et comme il s’agit des Nymphes, Barsacq pose la question de leur droit à l’épanouissement sensuel. Sans payer de mine, l’érotisme et l’intime deviennent le sujet des conversations entre les interprètes. Si elles ne vont pas jusqu’à ouvrir le débat à la salle, c’est tout comme et le public est subtilement guidé sur une voie intime et personnelle pour aborder l’œuvre historique.
Apparemment ingénues, les pièces de Barsacq sont des œuvres entières et totalement libres, des millefeuilles où se mélangent l’histoire, le féminisme, l’intime, le chant, les références picturales, le DJing, la vidéo… Ce qui, au lieu de compliquer l’approche, permet d’aborder des sujets et débats complexes sans que l’équipe sur le plateau ne perde son naturel ni son apparente spontanéité. Accompagnant les danseuses dans leurs investigations, le spectateur interroge à son tour le rapport entre son intimité et l’histoire de la danse. Et celle-ci ne passe plus par la théorie, mais par l’émotion. La Grande Nymphe se libère pour libérer nos contemporains.
Thomas Hahn
Vu le 19 mai 2023 au KFDA, Bruxelles
Vendredi 29 septembre à 20h30 à La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne
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