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« Grand écart » de Kiyan Khoshoie : Un danseur entre rires et douleurs
Au Temps d’aimer la danse, la danse est aussi un art de la parole, jusque dans ce one-man-show hilarant.
C’est je jour où éclate le scandale du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ordonnant aux structures culturelles subventionnés de la France de cesser immédiatement tout soutien aux artistes du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Les putschistes des pays concernés doivent se frotter les mains : Enfin leurs artistes vont être réduits au silence et ce n’est même pas eux qui doivent endosser le rôle du censeur. La missive malencontreuse est suivie, dès le lendemain, d’une rectification peu convaincante du ministère de la culture. Une belle occasion de se taire a été gâchée.
A la Gare du Midi de Biarritz, la parole a été mieux employée, vu que pendant ce temps, les directions de plusieurs CCN s’y retrouvèrent pour débattre de la santé du danseur, des enjeux pour les compagnies de ballet françaises et la transition écologique du spectacle vivant. Et même sans toutes ces interventions verbales, il était frappant de voir à quel point la parole était présente dans les spectacles.
Voix documentaires
Héla Fattoumi et Eric Lamoureux évoquèrent dans Tout-Moun , en création mondiale, Edouard Glisssant qui évoqua, en voix off, la nécessité pour l’humanité de valoriser toutes les langues du monde. Bruno Bouché mélangea danseurs et acteurs dans On achève bien les chevaux [lire notre critique] alors que dans Explosion d’Anthony Egéa, l’un des interprètes réclama la liberté d’expression, livrant dans un solo perturbé et perturbant une belle fusion de paroles et de gestes.
Et puis, Donald Trump ! Les discours de l’homme d’affaires et ancien locataire de la Maison Blanche furent diffusés par deux fois. D’abord, dans Of Prophets and Puppets de Martin Harriague par le Ballet de Wiesbaden : Le chorégraphe biarrot y met en scène un Trump en marionnette surdimensionnée, malmenant une frêle Greta Thunberg dans son innocence. Ensuite dans All I Need de la Beaver Dam Company [lire notre critique], Jeawon Jung incarne dans un solo étourdissant tout le désarroi qu’on peut éprouver face à telle barbarie intellectuelle.
Et quand Christine Hassid prend le micro après la représentation de Souffles #1, il est impossible de résister à son invitation à joindre la piste de danse – en l’occurrence le jardin de la Villa Natacha de Biarritz – pour se déhancher sur les images évoquées par la chorégraphe. La mise en condition par le trio, ludique, libre et contagieux dans le lien établi avec les spectateurs, est parfaite.
Le show comme principe
La parole, si elle est adressée directement en faisant tomber le quatrième mur, crée une empathie plus immédiate que la danse, car plus proche de nos modes de communication au quotidien. Ce qui ne garantit en rien un effet à long terme. Du meneur de revue (comme pour le Late Night Show à la Broadway de Martin Harriague, mis en scène dans Prophets and Puppets) au soliste verbeux d’un one man show, on sollicite des réaction instantanées, aux antipodes de l’empathie créée par le corps en scène. Les neurones stimulés ne sont pas les mêmes.
Kiyan Khoshoie est un ancien danseur du Scapino Ballet Rotterdam, formé à la Rotterdam Dance Academy. Il vit à Genève, a des racines iraniennes et débite les paroles avec la même vitesse hallucinante que ses gestes dansés en mode voguing, contemporain… Sauf que dans Grand Ecart, la danse n’occupe que quelques niches, une minute peut-être si on les mettait bout à bout. Le reste du temps, Khoshoie parle…
Galerie photo © Stéphane Bellocq
« Spectacle » ? Presque un gros mot…
On croit d’abord qu’on va vivre le grand classique clownesque du spectacle qui ne commence jamais. Et qui n’est pas un spectacle, car ça fait peur : « Un terme très fort ! ». Il préfère « work in progress » et surtout « one-man-show ».Une démonstration de ce que peut être un seul-en-scène à partir de rien. Mais là encore, sa pirouette est une fausse piste.
Derrière la façade du moulin à paroles qui brasse du vide, Khoshoie expose une part du mal de vivre du danseur au quotidien. Il porte une natte, en extension de ses cheveux, et mime le directeur de ballet et sa victime, la danseuse enceinte qui se fait virer de l’affiche, de la troupe, de son avenir et même de son être. Dans le bureau du grand chef, elle est réduite à néant.
Une « machine à mouvements »
Puis, il se couche sur le dos et parle de ses douleurs qui pourraient être réelles. « Voilà quinze ans que je fais ça tous les jours, je suis une machine à faire du mouvement. » Que cette machine est ultra-performante, il le montre par petites bribes. « Le corps est un territoire de questionnements », glisse-t-il aussi, tout en animant la salle, même par un vote. Il ouvre le rideau de fond et montre un amas de chaises et d’accessoires. « Vous préférez que je joue rideau ouvert ou fermé ? »
Le public lève la main. Et préfère le fond de scène lisse et noir. Pourquoi donc ? Khoshoie, après avoir conclu que « the show must go on », et en passant la serpillière sur I want to break free de Queen, est finalement heureux d’avoir partagé son aventure avec le public. « C’est super, je vais tout refaire avec le rideau ouvert ! » Un dernier grand rire. Le lendemain, conférences et tables rondes traitent de la santé du danseur. Et on espère que les professionnels auront amené quelque chose de l’humour de Khoshoie dans leurs échanges…
Thomas Hahn
Grand écart de Kiyan Khoshoie
Le Temps d’aimer #33, Biarritz, Théâtre du Colisée, le 14 septembre 2023
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