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« Inventions » par Mal Pelo (Pep Ramis & Maria Muñoz)

Troisième des quatre pièces consacrées à la musique de Jean-Sébastien Bach par le collectif catalan qui œuvre depuis 1989, cette pièce se veut aussi une réflexion sur l'espace qui s'avére, cette fois, rétif. D'où une réalisation forcée jusqu'au maniérisme ce à quoi portait déjà l'esthétique assez datée des auteurs.

Dès l'entame, quand entre un radeau de quatre instrumentistes tiré sur le vaste tapis blanc qui descend du grand mur de fond vers le public comme une esplanade dans l'espace, nous percevons un hiatus. Ces musiciens, ceux un peu ridicules qui portent des couvre-chefs en paille tressée évoquant un arte povera décoratif pour maison chic, ne sonnent pas juste ; quelque chose boite, s'alanguit dans l'affectation. Il y a certes ces pendules de grosses pierres suspendues par une corde aux cintres qui pourraient évoquer quelque œuvre de sculpteur minimaliste comme Lee Ufan, mais qui renvoient à de la décoration pour jardin à la mode.

Quand le personnage – Pep Ramis – d'une voix un rien affectée lance « Il est beau cet endroit. Ça pourrait être ici. », la phrase sonne creux car le lieu en question s'efface dans l'espace. Celui-ci excède la présence de ces naufragés d'Euterpe embarqués sur le chariot de Tepsis !

Galerie photo © Laurent Philippe 

La sensation de décalage entre les intentions et la réalisation ne s'estompe guère avec l'entrée du quatuor vocal, bien serré, en ligne devant le vaste mur, les chanteurs affublés, là encore pour certains, de coiffes artistiquement tissées. Cela chante fort bien ; les danseurs déboulent et ne dansent pas mal, répondant à une variation solo par un tutti avec une nécessité toute relative. Le déplacement de la soprano Quiteria Muños sur une haute chaise – genre fauteuil d'arbitre de tennis mais en bois blanc – n'a guère plus de nécessité quoique la chanteuse soit sans reproche. Au bout de ce premier quart d'heure, le besoin de ces agitations ne s'impose toujours pas. L'idée d'embarquer les musiciens sur un chariot n'a rien de neuf et ne surprend plus guère (Béatrice Massin avait ainsi disposé Philippe Cantor et son pianiste pour un Voyage d'hiver – 2006 – où l'intention dramatique de la scénographie de Rémi Nicolas possédait la force de l'évidence) quant à l'intégration des musiciens aux danseurs, elle a connu nombre d'expériences particulièrement inventives (que l'on se souvienne du Story Water – 2018 – d'Emanuel Gat avec la partition de Pierre Boulez) voire risquées (Denis Chouillet seul avec deux pianos pour jouer les Goldberg de Varieazioni – 2011 – d'Erika Zueneli) et la liste pourrait s'allonger à l'infini. La relation danse-musique a fortiori avec Bach pour interlocuteur pourrait faire genre en soi (et avec les Goldberg comme sous-genre, puisque la tétralogie a débuté en 2004 et comporte un On Goldberg Variations/variations de 2019 mais c'est une autre question). On attend donc quelques surprises, éclats, trouvailles qui se démarqueraient. 

Il n'y aura que de nombreuses péripéties : des marches lentes, des moments où les musiciens se gardent en réserve, des balancements de pendules, de l'hystérique attaque de troncs d'arbres à la hache… Il y aura une chanteuse – toujours excellente – en bord de scène et même un arrangement de la Chaconne de la Suite numéro 2 de Bach. Il y aura quelques moments de danse pas mal venus et un genre de Dark Vador en feutre gris (Josef Beuys revu par Spielberg)… Et un regroupement avec tout le monde en mode team building, et une fausse fin, la lumière s'estompant pour finir ! Une juxtaposition de moments esthétiques…

Le propos des deux artistes revendique un rapport non seulement au son, mais encore à l'espace. Alors force est de reconnaître qu'il y a là une impasse. Cette pièce, créée en 2020, a déjà été donnée dans des espaces très particuliers et doit s'adapter à chacun. Un certain nombre de vidéos, sur le site de la compagnie par exemple, témoignent que cette recherche a pu trouver sa place dans des lieux très contemporains, autant que dans des monuments historiques chargés. Ici, la cour du Lycée Saint-Joseph dissout le propos, amuit la musique. L'effectif autant que le projet suppose une intimité qui dans le cas présent fait défaut. Le lieu n'a pas été bien choisi ; les artistes ont perdu leur bras de fer avec les murs… Le poète Victor Segalen rêvait d'un projet baptisé Sites qu'il voulait « compréhension totale des paysages ». Cette science a manqué pour Inventions.

Galerie photo © Laurent Philippe

 

Alors pour se faire entendre – au sens propre comme au figuré – les artistes ont forcé le trait, abusant de maniérismes et d’affectation. Inventions accumule ainsi les séquences très attendues dans une esthétique datée dont les deux artistes semblent ne pas vouloir sortir. Le présent opus trouverait parfaitement sa place dans le livre (Mal Pelo L'animal a l'esquena) qu'ils avaient publié en 2000… L'ostentation des éléments du décor qui dissimule la préciosité sous les jours de la rudesse chic, le penchant à exagérer les attitudes, les postures, la gestuelle même, tout cela diffuse un pénétrant parfum d'afféterie et d'emphase, chic autant que daté, derrière lequel la force de la musique même finit par disparaître. 

Philippe Verrièle

Vu le 23 juillet 2023, Cour du Lycée Saint-Joseph dans le cadre du festival Avignon IN.

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