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« Alice » de Tsai Po-Cheng : Un regard taïwanais sur Lewis Carroll

Alice au pays des litchis ? Un ballet époustouflant par le chorégraphe taïwanais le plus européen. A voir en région parisienne et en tournée en ce début d'année 2024 !

Le « A » pour « Alice », le « B » pour « B Dance », le « C » pour Caroll (Lewis) : Avec son grand ballet transculturel inspiré par le classique britannique de la littérature pour la jeunesse, le chorégraphe Tsai Po-Cheng revisite quelques fondamentaux. Invitée au festival Vaison Danses en première européenne, portée par une distribution impressionnante et ouvrant un livre d’images étourdissant, cette pièce pour dix-huit danseurs rend hommage à Alice au pays des merveilles. Mais c’est comme si les merveilles avaient un fort goût de litchis et que le pays en question était tombé sous l’emprise du dragon (lequel est en Asie un symbole de bonheur). 

Tsai Po-Cheng et sa troupe sont en train de marquer, profondément et durablement, la danse contemporaine de l’île qui se bat pour sa liberté, face à la Chine continentale. La culture est un vecteur important permettant au gouvernement de Taipeh d’affirmer son identité. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans Alice quelques références rappelant de récentes créations du Cloud Gate Dance Theater, qu’il s’agisse de certaines projections en fond de scène rappelant la peinture paysagère traditionnelle ou du rapport aux éléments et à la nature. 

D’eau et d’air, de terre…

Dans cette revue enchantée, où les arts martiaux d’Asie croisent des poses, sauts et gestes empruntés à la Grèce antique, aux danses sociales occidentales ou à l’opéra de Pékin, on est d’emblée happé par la capacité des interprètes à transformer leur état de corps, de tableau en tableau. Aquatique au départ, aérien par la suite. Et à chaque fois une capacité stupéfiante à fluidifier des glissements et envolées qui appartiennent à ce passage dans une réalité autre. Mais Tsai reprend moins les êtres croisés par Alice que justement ces changements d’état. 

« C’est possible parce qu’à Taïwan, tous les danseurs doivent se former en danse traditionnelle, arts martiaux, danse contemporaine et ballet », explique Tsai. Et le voyage continue, en roulades et autres jeux avec la gravité, laquelle avait été surmontée dans les premiers tableaux. Des tambours taiwanais en mode très contemporain rappellent les réalités de la vie. C’est un retour à la terre, au réel. Et en dernière partie, l’ambiance jusqu’ici dominée par le noir et blanc des costumes – « En hommage aux dessins de Lewis Caroll dans le livre ? » « Tout à fait », confirme Tsai – est enrichie par le rouge des chapeaux traditionnels des travailleuses et travailleurs des champs. 

Galerie photo © Stéphane Renaud

…et de feu

Mais ces chapeaux peuvent se transformer en boucliers ou former des dragons, des cœurs… Le tableau final, magnifique mais bien trop long par rapport aux précédents, est placé sous le signe des flammes. Le feu de la guerre, le feu de l’amour, et aussi celui qui consume lentement les humains au labeur dans les champs pour se fondre dans le cycle de la vie. Le combat entre le bien et le mal atteint son paroxysme, mais quand le séducteur en noir gagne sa partie, il se transforme soudainement en gentilhomme. Et ce quatrième tableau apparait comme une entrée dans la vie d’adulte, comme dans tout conte qui respecte son rôle d’amener les jeunes vers l’éveil érotique. On se souvient alors de ce qu’à l’origine, Carroll n’avait pas destiné son roman aux jeunes lecteurs, mais aux adultes. 

Tsai ne prive pas son public d’images et de métaphores sensuelles voire d’allusions érotiques, à commencer par les deux énormes plumes de faisan que le lapin de cette histoire sait plier en forme de cœur. Qui alors pour regretter une paire d’oreilles blanches ? Les compositions de corps, de mouvements, de costumes, d’énergies et d’émotions dans cette pièce – où tout se joue entre rêve et éveil, songe et réalité – subtilement inspirée par Lewis Carroll sont époustouflantes de bout en bout. La version présentée en tournée et en salle sera par ailleurs différente – car techniquement enrichie – de la version présentée à Vaison Danses. 

Un chorégraphe entre Taipeh et l’Europe

Il faut dire aussi que la fusion Orient-Occident de cette Alice ne tombe pas du ciel. Tsai Po-Cheng est un artiste autant enraciné en son île – où il a créé pour le Cloud Gate II – qu’à linternational. En quelques années il a été invité à créer en Allemagne (pour Gauthier Dance), en Espagne (par La Veronal) et en Suisse (à Berne et Lucerne). Et il se trouve qu’Alice  est justement une commande par le Theater Luzern, qui a eu le malheur de tomber dans la mare nommée Covid pour être repêchée grâce à une reprise par la compagnie de Tsai à Taipeh. 

C’est au Théâtre Antique de Vaison-la-Romaine qu’elle a vu sa première représentation devant un public « en présentiel » et avec les danseurs de B Dance. A voir le résultat, on a du mal à imaginer la même pièce dansée par un ensemble européen, tant l’écriture du mouvement et des ensembles est imprégnée de principes asiatiques. Alors : « A » comme « Alice », « B » come « B Dance », « C » comme « Confucius » ? 

Thomas Hahn

Vu au Festival Vaison Danses, le 19 juillet 2023

Tournée 2024 :

Le 18 janvier au Théâtre Luxembourg de Meaux (77)
Le 27 janvier au Théâtre du Crochetant, Monthey (Suisse)
Le 1er février au Théâtre Saint-Louis, Cholet (49)
Les 6 et 7 février à la MAC de Créteil (94)
Les 14 et 15 février à Château Rouge, Annemasse (74)

 

 

Tournée 2023 : 

28 novembre : Draguignan (Festival Cannes)
31 novembre et 01 décembre : La Rochelle
05 et 06 décembre : Brive-la-Gaillarde
12 décembre : Morges
14 décembre : Fribourg
19,20 et 21 décembre : Sceaux

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