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Soirée Stravinsky à Monaco
Dans le cadre de l’Été Danse, Les Ballets de Monte-Carlo présentaient deux créations de Jeroen Verbruggen et Goyo Montero. Une soirée fort attendue.
Dans la continuité de leur saison d’été, et juste après le Gala de l’Académie Princesse Grace, Les Ballets de Monte-Carlo ont présenté deux créations autour d’Igor Stravinsky, Les Nuls de Jeroen Verbruggen danseur-chorégraphe très lié à la maison monégasque – il y a dansé dix ans et y a créé un bon nombre de pièces dont Kill Bambi (2012), Hold Fast for If (2015) et True and False Unicorn -2015 (lire notre critique), L’Enfant et les sortilèges - 2016 (lire notre critique), Massâcre, ( 2017) Aimai-je un rêve et Chiasmus (2018) – et Firebird de l’espagnol Goyo Montero, actuel directeur du Ballet de Nuremberg et chorégraphe prolixe. De manière très personnelle, les auteurs se sont emparés de deux ballets emblématiques du compositeur russe, le premier décoiffant Pulcinella, ballet avec chant en un acte d'après Giambattista Pergolesi, écrit en 1920, le second avec une version flamboyante et sensible de L’Oiseau de Feu, antérieur de dix ans. Deux ballets chorégraphiés par Fokine et créés à l’Opéra de Paris par les Ballets russes.
Verbruggen revisite Pulcinella pour s’attacher aux laissés-pour-compte, aux marginaux, moqués et maltraités par une société qui ne veut pas d’eux. Il garde néanmoins les personnages originels ainsi que l’impertinence de Polichinelle et l’esprit bouffon de la Commedia dell’arte par lesquels il compte faire entendre la voix de ces minorités.
Galerie photo © Alice Blangero
C’est donc avec des demi-levers de rideau qui laissent entrevoir les premières scènes en bandeau, un peu comme des plaques de lanterne magique, que commence un ballet-bouffe très théâtral campé dans un décor foisonnant d’une multitude d’ éléments scéniques symboliques et signifiants, parfois un peu énigmatiques – un rideau central laqué noir, un immense cœur au dessin anatomique, un cercle en néon s’abaissant et s’orientant selon, un cercueil déambulant ou des guirlandes aux loupiotes de fête foraine …
Deux groupes constituent l’intrigue du ballet, l’un vêtu de noir, l’autre de tons clairs, les uns étant les « fantasmes » des autres. Leurs costumes signés Charlie Le Mindu sont pour le moins étranges tant l’aspect grotesque est exacerbé – boursoufflures, bosses et autres protubérances envahissantes – et ne permettent pas une lecture facile de la danse. Il faut toute l’amplitude et la précision des interprètes – qualités dont nous ne doutions pas qu’ils les possèdent mais vraiment remarquables ici – pour faire ressortir la chorégraphie.
Galerie photo © Alice Blangero
Rixes, jeux, poursuites et évitements se succèdent à bon train. Un personnage aux fessiers rembourrés et épaulettes comme des piques se confronte à un adversaire tout aussi harnaché dans un truculent duo, un trio charivaresque enchaîne roulades et ports d’armes, les unissons piétinent avec ardeur, crient, se lancent avec entrain dans des rondes et ribambelles saccadées. Des passages sur pointes, des pas empruntés au french cancan et même très fugacement – ai-je bien vu ? – aux claquettes irlandaises… Bref ! Un gai méli-mélo truffé de trouvailles chorégraphiques. Là aussi l’exubérance prévaut. Mais cette profusion générale, fait un peu perdre le fil au spectateur … Toutefois malgré les interrogations narratives et la perplexité que l’ensemble suscite par moments, on se laisse surprendre et séduire par le côté déjanté, et emporter par la danse joyeuse, la vitalité des danseurs et la musique.
Avec Firebird (L’Oiseau de feu) en deuxième partie de soirée, Goyo Montero convie le public à un conte écologique, et dès les premières notes de la partition nous entrons dans le domaine du fabuleux. Hors plateau, au niveau du premier rang, surgit un groupe compact à l’allure guerrière, sanglé dans des genres de carapaces – des explorateurs dit le programme de salle – qui s’introduit dans un monde parfait sublimé par une rutilante forêt faite de rideaux de pastilles miroitantes (superbe décor de Curt Allen-Wilmer et Leticia Ganan). Entre végétal et minéral, cet univers fait penser à certains dessins des illustrateurs de contes Kay Nielsen ou Edmund Dulac …
Galerie photo © Alice Blangero
Deux forces alors s’opposent, d’un côté les conquérants menés par un « chef », formidable Christian Assis, de l’autre une tribu dont les corps cuivrés semblent peints, conduite par Firebird, personnage central du ballet incarné par la magnifique Anna Blackwell. Fine et longiligne, aussi légère que puissante, elle mène son monde (22 danseurs pour la seule tribu) vers un ultime combat rejoignant les rangs des héroïnes de Fantasy, telle la Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki, un des porte drapeau du genre, (voire aussi Nausicaä de la Vallée du Vent).
Montero réussit à merveille les grandes envolées, les grands mouvements d’ensemble où les danseurs et danseuses traversent le plateau comme des nuées d’oiseaux. La danse est fluide, limpide, contrastée. Anna Blackwell et Christian Assis forment un couple antagoniste qui sert parfaitement le récit. Mais sans épreuves, il n’y aurait pas de conte, il est donc aussi question d’affrontement, de domination, d’invasion, de trahison, de destruction… À la moitié de la pièce c’est un plateau vidé qui s’offre aux regards, les rideaux miroitants sont arrachés, la luxuriance évanouie, métaphore de la destruction de la forêt équatoriale et plus largement de notre planète.
Galerie photo © Alice Blangero
Le ballet du chorégraphe belge pourrait bien se situer dans la ligne d’une fantasy engagée voire « militante » analysée par William Blanc* (à propos de certains auteurs dont G.R.R Martin, l’auteur du Trône de Fer/Game of Thrones) « leur fantasy contre-culturelles’oppose au monde marchand de l’Amérique de la contre-révolution conservatrice qui menace les droits sociaux et environnementaux ». On trouve alors le point commun aux deux chorégraphes puisque Verbruggen revendique dans sa note d’intention : « Pulcinella symbolise pour moi une forme de contre-culture dans laquelle peuvent se reconnaître les minorités ». Preuve qu’en dépit de formes artistiques divergentes, les chorégraphes sont tous deux fortement sensibles aux questions d’actualité.
Marjolaine Zurfluh
Vu le 1er juillet 2023 au Grimaldi Forum de Monaco
*William Blanc, historien, auteur de Winter is coming. Une brève histoire politique de la fantasy, Libertalia, 2019
8 et 9 juillet 2023 : F(ê)aites de la Danse, Place du Casino Monaco
17,18, 19 juillet 2023 à 19h30: Cendrillon
Salle Garnier Opéra de Monte-Carlo
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