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« Bless the sound that saved a witch like me » : Sati Veyrunes x Benjamin Kahn

D’Uzès à Marseille en passant par les Rencontres Chorégraphiques, un solo tel un portrait de notre époque, par une interprète subtilement bouillonnante.  

Joli triplé pour un solo qui se situe au centre d’une trilogie : Avant son passage aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis et au Festival de Marseille, Sati Veyrunes a brûlé les planches du Jardin de l’Evêché d’Uzès au festival La Maison danse, sous les yeux d’autres Veyrunes.

Sati, en fait, ne saurait être la fille d’un autre que son père, François, le chorégraphe. Dans ses yeux, le même sourire cachant un mystère joyeux, les mêmes reflets de timidité déjouée par une joie de vivre distillée avec discrétion. Et même si François Veyrunes n’est pas sur le plateau avec elle mais dans la salle, si le lien ne peut donc se faire directement, toute l’attention du spectateur va immédiatement vers les yeux de Sati qui brillent de la profondeur des lacs de montagne. 

Avec Bless the sound that saved a witch like me, Benjamin Kahn dresse son portrait de Sati, après celui de Cherish Menzo [lire notre critique]. Lors de sa venue à La Maison danse, il était par ailleurs déjà en plein travail sur le troisième volet de sa trilogie : The Blue Hour, création sur mesure pour le jeune danseur Théo Aucremanne, qui sera dévoilée au Festival de Marseille. Visiblement, Kahn cherche, pour ses portraits de danseurs, les points de fragilité et le défi de se créer une place dans la  société qui, souvent, pose sur eux un regard déformant. Aussi a-t-il travaillé avec Cherish Menzo sur l’identité culturelle et de genre, à travers le vêtement. 

De Sati Veyrunes, il a étudié les lames de fond d‘une jeune personnalité, ses heurts et ses bonheurs, son mouvement et sa voix. Le cri de Menzo passe par la couleur, le geste et les mots. Celui de Veyrunes sort directement de sa gorge. C’est un cri chantant qui ne cherche pas l’explosion mais à entrer en relation avec l’autre. « Je veux partager un souffle, un cri de vie et naissance » explique-t-elle au début. Le titre aussi est un remerciement, une révérence emplie d’une espérance qu’on retrouve quand elle déclare : « J’ai un poème pour vous », poème qui commence par « Je reviens de l’avenir… »

Galerie photo © Sandy Korzekwa

Le présent, à ce moment-là, c’est qu’elle se trouve sur le plateau de l’Evêché d’Uzès, sous un ciel très chargé, et qu’il se met à pleuvoir. De plus en plus fort. C’est pourtant elle qui demande au public : « Are you OK ? » (elle parle uniquement anglais dans cette pièce). Et elle résiste, et résiste, jusqu’à ce que les trombes d’eau fassent ressortir sa force rebelle quand elle lève le poing et tourne à la manière d’une derviche. 

Quand elle hurle dans son micro en mode death metal, on sait qu’il s’agit d’un fantasme dont elle sait s’amuser en même temps. Arborant soudainement un gros tatouage sur les épaules et la poitrine – un effet de la pluie – elle assume. Le doute n’est permis que quand elle rit, car là on ne sait plus : Est-ce prévu ou une réaction spontanée à l’adversité des éléments ? Et quand au-dessus de la scène, une fenêtre de l’Evêché s’éclaire en vert, l’effet visuel est-il prévu ou une autre intrusion du réel ? 

A la fin, les yeux de Sati affirment d’autant plus leur suspension entre esprit enfantin et la force d’une figure mythologique qui s’exprime dans ses fulgurances comme dans les moments de recueillement. Car Benjamin Kahn a le recul nécessaire pour laisser à l’interprète – qu’on peut aussi voir sur le plateau dans Navy Blue d’Oona Doherty [lire notre critique] – toute latitude de s’exprimer en lui créant des outils chorégraphiques et dramaturgiques sensibles. Aussi il réussit un portrait de notre époque, de sa révolte et de ses cris, à travers une artiste qui, par ses 24 ans, incarne à la fois le vécu et l’avenir. Avec brio. 

Thomas Hahn

Vu le 9 juin 2023, Uzès, festival La Maison danse, Jardin de l’Evêché

Au Festival de Marseille : les 30 juin et 1er juillet, KLAP Maison pour la danse

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