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« Toujours de ¾ face ! » de Loraine Dambermont

En ouverture de saison les 12 et 13 septembre prochains, POLE-SUD - CDCN Strasbourg présente la chorégraphe belge Loraine Dambermont et son solo Toujours de ¾ face ! qui fusionne danse contemporaine, hip-hop (popping, surtout) et karaté. Naturellement, l’histoire de la danse est aussi celle du sport et de la politique. On sait que Louis XIII et Louis XIV la pratiquaient, au même titre que l’équitation et l’escrime, pour se fortifier et mieux se préparer au combat. 

Le XXsiècle a élargi son domaine à la gymnastique harmonique et rythmique représentée en France par Irène Popard, sous influence, certes, du Belge Georges Demenÿ et, probablement aussi, du Suisse Émile Jaques-Dalcroze. Une danse dynamique, qualifiée de « virile », fut vers la même époque proposée par la futuriste Valentine de Saint-Point ; la chorégraphie Skating Rink (1922) de Jean Börlin pour les Ballets suédois se référait au sportsman dancer Charlot et à l’activité récréative de glisse alors en vogue ; le Train bleu (1924) de Bronislava Nijinska pour les Ballets russes stylisa les sports de plage ; le Footballeur (1930) d’Assaf Messerer et Balance à trois (1955) de Jean Babilée dépoussiérèrent le répertoire classique ; la IXsymphonie (1964) de Maurice Béjart sortit le ballet de l’Opéra pour le donner au palais des Sports ; Sports and Follies (1974) de Paul Taylor moqua, la chorégraphie aidant, athlètes et gymnastes. Plus récemment, Petter Jacobsson et Thomas Caley ont livré une pièce ayant pour titre Discofoot (2016). Les JO de Paris approchant, le break ayant été promu discipline olympique, la danse se tourne plus que jamais vers le sport – Skatepark de Mette Ingvartsen étant une des prémisses ou prémices de cette tendance.

Toujours de ¾ face ! de Loraine Dambermont, programmé quelques jours avant Mot pour mot de Charlotte Imbault – une « installation » visant à rapprocher « deux lexiques, celui de la danse et du basket » – s’attaque, avec punch et ironie, à la notion d’autodéfense. Au pays de Jean-Philippe Smet (alias Johnny Hallyday), pas qu’à Toulouse, il semblerait en effet qu’on aime la castagne. Tel est – ou fut – le cas d’Alex Doffigny, alias Johnny Cadillac, l’imitateur belge de notre ex-idole des jeunes – lui-même d’origine wallonne. Monsieur Cadillac, 3dan de karaté, apôtre de la contre-attaque éclair dite de l’uraken – le « coup de poing le plus rapide du monde », le plus efficace pour lui étant celui porté entre les deux yeux du rival – préconise pour la réaliser la position de ¾ face – « toujours de ¾ face » – qui offre une moindre surface aux frappes contraires. Ses conseils en la matière, dispensés sur YouTube, ont servi d’argument mais aussi de matériau sonore à une pièce qui rend hommage au boxeur ne serait-ce que par son titre. Loraine Dambermont danse une variation – des variations – sur ce thème ; elle est aussi l’autrice de la création musicale, aidée au mixage par Victor Petit. La qualité de la diffusion de la B.O. était remarquable à Aubervilliers, s’agissant d’un espace non destiné aux concerts.

Galerie photo © Nicolas Villodre

Le projet comme le résultat obtenu relèvent du surréalisme – du surréalisme belge, bien sûr. Non seulement du fait du rapprochement de plusieurs disciplines différentes par nature, mais aussi par une démarche où perce l’ironie, le décalage, un humour noir, pour ne pas dire « bête et méchant » qui maintient à distance la violence du propos et les fragments du discours du macho. L’analyse de la technique de l’affrontement n’édulcore pas le contenu que souligne la bande-son, avec ses boucles ou faux bégaiements qui hachent menu les conseils prodigués par le sensei (le "maître" en Japonais) et réduisent les mots à des phonèmes, à des onomatopées, à des bruitages pour cartoons – des bing-bing– et pour films de Bruce Lee ou de Jean-Claude Vandamme. 

Visuellement parlant, la performance live déréalise la fureur de vaincre l’autre par de comparables effets de répétition et d’accumulation gestuelles. D’autant que la pantomime de la boxe, à l’instar de celles de Chaplin, Keaton, Pomiès – et leur suiveur Tati – se passe ici de sparring partner. Des boxeurs comme Al Brown, Jack Dempsey et Muhammad Ali « dansaient » littéralement sur le ring. Loraine Dambermont, avec sa prestation bourrée d’énergie, ennoblit le noble art. Elle rend abstraites les poses et les attaques de karaté, les TsukiYokoChoku-zukiAge-zukiHiza-geri,etc. En prenant le mot swing dans ses deux acceptions, l’art martial devient art tout court.

Nicolas Villodre

A voir les 12 et 13 septembre 2023 à 19h à Pole-Sud CDCN

Entrée libre sur réservation

Vu le 26 mai 2023 au Gymnase Manouchian d’Aubervilliers dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.

 

Image de preview © Hichem Dahes

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