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« Danses de travers & Musiques à fuir » par Dominique Brun aux Rencontres chorégraphiques

Les compositeurs Érik Satie et John Cage dialoguent dans un réjouissant cabaret dansé, aux doux parfums de la modernité d’antan. 

L’histoire de la danse peut-elle avancer par ricochets et tirer des fils telles des balles perdues ? Voilà l’impression qui se dégage de l’hommage au célèbre compositeur iconoclaste Érik Satie (1866-1925) par Dominique Brun, aux sources iconographiques, littéraires et chorégraphiques et bien sûr musicales qui rebondissent à volonté. Aussi Satie a-t-il sa place, non seulement dans l’avènement d’une modernité musicale mais aussi dans l’évolution de l’art chorégraphique ! 

« Je mourrai, un jour de fête / alors que les pantins dansent… », écrivit Valentine de Saint-Pont en 1905. En 1913 elle commanda à Erik Satie une musique sur laquelle elle dansa son poème, le visage caché par un masque pour libérer la danse de la musique et d’interprétations psychologiques. La même année, elle publia le Manifeste de la femme futuriste. Trois décennies plus tard, en 1942, Merce Cunningham (1919-2009) crée Totem Ancestor, une pièce brève, et invite John Cage (1912-1992) à composer une musique qui suit le phrasé de la chorégraphie. Cunningham reprend Totem Ancestor  en 1948, et interprète Piège de Méduse  de Satie qui contient une série de « toutes petites danses » - des danses de singe ! Cela dans le cadre d’un festival où John Cage donne des conférences sur la musique de Satie !

Les Danses de travers rassemblées par Dominique Brun ne cessent de galoper à travers l’histoire et les courants, du piano préparé d’avant la lettre à celui de Cage, des danses de Ted Shawn sur les Gnossiennes  (1919) à l’ Aérodanse  futuriste de Giannina Censi (1931), avec Satie comme fil conducteur à travers des chorégraphies qui rebondissent sur les sources disponibles – photos d’époque, notation Laban ou costumes conservés – en réimaginant les danses d’autrefois. Et il arrive, comme pour les danses de la danseuse Caryathis (1921), surnommée par Jean Cocteau « la belle excentrique » que la réinvention s’appuie sur les mémoires de l’artiste ou tout simplement, comme pour Le Piège de Méduse, de didascalies, comme ce « devenir fou ou en avoir l’air » ou « se gratter avec une pomme de terre » pour le singe imaginé par Satie. 

Dans les références animales, on trouve aussi le cheval dessiné par Picasso pour Parade (1917) et l’instruction donnée par Cocteau à Caryathis en 1921 : aller au Jardin des plantes pour s’inspirer des mouvements d’une grue. Ce programme composé d’onze miniatures chorégraphiques – il serait tout aussi juste de parler de mignardises – tisse des fils à travers une modernité naissante en partant de la Gnossienne n°4  composée en 1891 va jusqu’au duo Cage / Cunningham des années 1940 pour retourner aux années à scandales chorégraphiques avec Parade en passant par le futurisme des années 1930. 

Galerie photo © D.R

Cette suite imaginée en toute liberté est en soi une parade de danses et d’univers, un cabaret des plus jouissifs qui ravit les adultes comme les enfants. Et on y découvre que certains concepts qui nous semblent exprimer l’esprit de l’époque actuelle ou bien appartenir aux révolutions artistiques des années 1960/70 – on pense aux formats brefs et percutants ou aux musiques minimalistes – remontent bien plus loin qu’on ne l’avait peut-être imaginé. Conçu et construit selon la même légèreté que Parade de Léonide Massine, ce programme enchanteur cache donc bien des découvertes, à faire après s’être amusé avec le spectacle – en lisant les riches annotations par la chorégraphe-historienne – contrairement à ce que Cocteau écrivit au sujet de ce « ballet réaliste » : « Ne cassez pas Parade pour voir ce qu’il y a dedans. Il n’y a rien. Parade ne cache rien. » 

L’hommage à Satie de Dominique Brun, lui, ne cache rien non plus mais a beaucoup à nous révéler, entre autres une Dominique Brun qui se mue en chanteuse, interprétant un étourdissant Je te veux  – signé Érik Satie – chanson faisant partie des Danses d’Erik Satie, publiées vers 1900. Je te veux fut reprise en 1950 pour un solo intitulé Waltz (valse). Le chorégraphe : Merce Cunningham ! On s’est rarement autant amusé avec l’histoire de la danse, tout en se laissant surprendre. 

Thomas Hahn

Vu aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Montreuil, Théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin, le 23 mai 2023

Danses de travers & Musiques à fuir – Hommage à Éric Satie 

Conception Dominique Brun
Musique Erik Satie, John Cage
Arrangements Robin Melchior
Lumières et régie générale Christophe Poux
Son Eric Aureau
Costumes Florence Bruchon assistée de France Chevassut, Marine Gressier, Aude Bretagne et en stage Alice Girard
Interprétation danse Roméo Agid, Marie Orts, Clément Lecigne et en stage Pierre Morillon
Interprétation chant Dominique Brun
Interprétation musique Sandrine Legrand, Jérôme Granjon

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