Add new comment
Une nouvelle étape au CDCN d’Uzès : Entretien avec Emilie Peluchon
C’est désormais Emilie Peluchon qui dirige La Maison danse, CDCN Uzès-Gard-Occitanie. En juin 2023, elle présente sa première édition du festival La Maison Danse Uzès. Entretien.
Danser Canal Historique : Comment abordez-vous votre nouvelle mission en tant que directrice du CDCN La Maison, implanté à Uzès ?
Emilie Peluchon : J’ai pris mes fonctions le 2 novembre 2022. Cette mission m’a tout de suite motivée parce que ce CDCN a la particularité d’être itinérant et s’inscrit sur un territoire rural et riche en patrimoine naturel, des Cévennes jusqu’à la naissance de la Camargue, où c’est nous qui devons aller vers le public pour le mettre en relation avec les artistes, par le biais d’un studio mobile qui peut s’installer pendant un mois et permettre aux artistes de travailler sur une recherche. L’enjeu est certes complexe, mais stimulant car plein de possibles pour expérimenter des choses, sans toujours aller vers des productions. J’ai par ailleurs l’habitude de cette itinérance par mon travail précédent pour Danse Dense, avec la différence que notre point de ralliement à Uzès, le Jardin de l’Evêché, est en extérieur et que nous devons à chaque fois créer cet espace qui est le cœur du festival.
DCH : Comment évoluent les relations avec les tutelles et le public ?
Emilie Peluchon : Le département, la région et l’état sont très soutenants et très présents, dans une collaboration au quotidien, avec un vrai désir des deux côtés de construire, d’inventer et aussi de questionner des problématiques liées au territoire et aux publics. La municipalité d’Uzès est ravie d’avoir des propositions qui se déploient partout dans la ville et qui sont pensées comme des espaces de découverte, avec des formes gratuites, déambulatoires pour un plaisir partagé lors d’une manifestation conçue pour le public de la ville et de la région, même s’il est vrai qu’on ne vient pas forcément depuis Toulouse pour vivre une journée de spectacles à Uzès. Mais le public du Gard est bien présent et nous proposons des formules tarifaires adaptées aux spectateurs qui viennent en famille ou se créent des parcours avec plusieurs spectacles.
DCH : La création d’un lieu permanent pour le CDCN a été discutée pendant longtemps. On se souvient même de débats autour d’une reconversion de la piscine municipale !
Emilie Peluchon : En effet, il y a eu cinq projets de création d’un lieu permanent, sans aboutir. Le ministère de la culture s’interroge aujourd’hui sur les possibilités d’amener l’art chorégraphique sur tout le territoire et nous, on voyage avec les spectacles dans tout le département du Gard, où nous rencontrons des patrimoines naturels et architecturaux, voire des cultures vraiment différentes. Il est très stimulant de repenser à chaque fois la question des artistes et projets à privilégier pour rencontrer le public sur un territoire spécifique, pour créer des rencontres qui fassent sens.
DCH : Vous allez donc même dans des endroits où la danse d’auteur est peu, voire pas du tout connue ?
Emilie Peluchon : Il y a des villes et villages qui ont déjà vu passer des compagnies de danse. D’autres voudraient proposer des pièces chorégraphiques et nous appellent pour notre expertise parce que nous sommes en mesure d’installer une boîte noire. Nous sommes donc autant producteurs que programmateurs et nous nous intéressons aux projets artistiques conçus pour les jardins et autres espaces naturels, hors de la boîte noire. Aussi ma première saison, sur laquelle je travaille actuellement, verra la danse investir des espaces non dédiés, des salles de classe, des librairies. Par contre, ayant été nommée le 31 mars 2022, je signe la programmation de l’édition 2023 du festival Uzès Danse.
DCH : Comment le festival s’intègre-t-il dans ces problématiques ?
Emilie Peluchon : Je tiens à ce que les propositions artistiques soient ouvertes à tous les publics et tous les âges, ainsi qu’au croisement d’écritures confirmées et émergentes, sachant que certains jeunes chorégraphes sont en même temps interprètes chez des chorégraphes confirmés. C’est aussi une façon de questionner le patrimoine de la danse dans une ville forte de son patrimoine, et cette idée me plaît bien. Le festival est donc pensé pour que la ville soit innervée de danse pendant cinq jours. Cela commence en centre-ville, fort de la richesse de son patrimoine architectural, où Ambra Senatore recrée sa promenade chorégraphique pour la ville d’Uzès, ayant récolté des récits authentiques auprès d’habitants complices que j’ai contactés en amont. Et nous investissons les espaces naturels des alentours, notamment le parc situé en contrebas de l’Evêché, où nous présenterons entre autres Chêne centenaire de Magda Kachouche qui sera notre artiste associée pendant trois ans. Le 11 juin, un dimanche, nous proposons même une journée entièrement dédiée à l’espace végétal et une proposition de découverte avec le centre ornithologique du Gard suivi d’un DJ set inspiré du chant des oiseaux, mixé par Franck Micheletti qui est autant DJ que chorégraphe et animera notre bal du samedi soir.
DCH : A Uzès, il y a des oiseaux mais aussi des vignerons, et on passe donc aux Cépages dansants…
Emilie Peluchon : … qui sont proposés par Clémentine Maubon et Bastien Lefèvre qui sont basés en Maine-et-Loire. Je les ai invités à créer un Uzès remix avec trois vignerons d’Uzès qui sont aussi mécènes du festival et qui feront déguster leurs vins. C’est une fête pour tous les sens en même temps, où les caractères d’un vin, tantôt piquant et dynamique tantôt très rond etc., sont exprimés en danse. Et ils présentent leur création Cocoeur qui part du battement de cœur comme fonction mécanique du corps pour arriver à la symbolique des émotions et du sensible, dans une très belle traversée.
DCH : Vous présentez au moins une personnalité historique et emblématique du patrimoine chorégraphique français, à savoir Daniel Larrieu avec Play 612.
Emilie Peluchon : Daniel Larrieu met en partage trente ans d’écriture chorégraphique, avec trois générations de danseurs au plateau, avec un côté très ludique puisque c’est le public qui tire au sort les extraits qui seront dansés. Et il crée des espaces pour narrer des anecdotes, en fonction du jour et de ce qui est donné à voir. Mais on peut aussi citer, quant au patrimoine chorégraphique, Ashley Chen, Anna Chiurescu et Cheryl Therrien qui sont tous issus d’une pratique de la technique Cunningham et recréent avec Dime a dance un Event à la Cunningham dans la ville, sur un mode ludique tout en conservant une grande exigence.
DCH : Parmi les artistes émergents on trouve Hamdi Dridi…
Emilie Peluchons : ... qui est un chorégraphe de la région Occitanie et vient plutôt du hip hop, avec ensuite un parcours dans la danse contemporaine, entre autres chez Maguy Marin. Il travaille sur un croisement de toutes ces influences chorégraphiques. Il avait aussi créé un solo avec un travail sur le geste du quotidien et le geste ouvrier, notamment de son père qui était maçon. Sa création Om(s) de ménage est un hommage aux femmes et notamment aux mères des quatre interprètes…
…et Soa Ratsifandrihana…
…qui s’est formée chez Anne Teresa de Keersmaeker et propose avec g r oo v e une pièce très dansée qui met en jeu la tension entre le groove, donc le beat qui va se saisir d’une personne de façon naturelle. Et elle construit quelque chose face à ça qui permet au public de se charger d’énergie…
…ainsi que Chloé Zamboni…
…qui est basée en Occitanie et présente sa première pièce, Magdaléna, suite à deux années de recherche sur un état somatique très chargé dans la relation à l’autre. C’est une pièce très en proximité, présentée dans un petit espace et portée par les Variations Goldberg de Bach…
… et Delphine Mothes…
…qui vit également en Occitanie. Elle est interprète dans Amazones de Marinette Dozeville et chez Emmanuel Eggermont. Sa pièce s’articule autour de matériaux et objets obsessionnels et des gestes correspondants à partir desquels elle développe une écriture chorégraphique très précise. Sans oublier la proposition très originale de Solène Wachter de For You/Not For You où le public est divisé en deux groupes qui ne voient pas le même spectacle.
DCH : … ainsi que les créations de Marc Lacourt que nous avons appréciées par le passé, La Serpillière de Monsieur Mutt [lire notre critique] et Il nous faudrait un secrétaire. S’il nous arrivait d’oublier d’évoquer des propositions, c’est que nous sommes tout simplement dépassés par le foisonnement de cette édition.
Propos recueillis par Thomas Hahn
28e festival La Maison Danse Uzès, du 7 au 11 juin 2023