Error message

The file could not be created.

Add new comment

« Over Dance » : Angelin Preljocaj et Rachid Ouramdane au-dessus du temps

A Chaillot, la double création avec des artistes post-carrière illumine le corps dansant. 

Nous nous étions trompés, et nous devons manger notre chapeau. C’est probablement vrai pour beaucoup d’entre nous, ayant cru qu’un spectacle de danse gagnerait en force en fonction du dynamisme de ses interprètes, associant celle-ci à la jeunesse. Bien sûr, nous avions vu un Kazuo Ohno octogénaire occupant la scène avec grâce, un Raimund Hoghe et tant de protagonistes chez Pina Bausch… Une Carolyn Carlson qui fête ses 70 ans ces jours-ci et quelques autres… Mais chez ces monstres sacrés, la danse se confond profondément avec leur être. 

C’est une autre affaire quand huit personnes, dont certaines n’avaient jamais touché à la danse contemporaine, se rencontrent pour la première fois, en vue d’une création sous l’égide de Rachid Ouramdane ou d’Angelin Preljocaj. C’est alors que le regard sur la danse et ce qu’est un danseur peut changer totalement. La Birthday Party du directeur du CCN d'Aix-en-Provence n’a rien d’improvisé, mais se décline en une série de tableaux où le corps gagne une liberté insoupçonnée. Et Rachid Ouramdane réfléchit, dans Un jour nouveau, la lumière des projecteurs d’Hollywood qui avaient pour mission d’éclairer l’instant, jusqu’à ce qu’ils mettent en valeur le temps qui passe. 

« Faites entrer les clowns »

Par ailleurs, son duo pourrait très bien porter le titre choisi par Angelin Preljocaj. La fête d’anniversaire n’est pas loin quand Darryl E. Woods – on l’a vu dans une série de pièces de Sidi Larbi Cherkaoui et aussi chez Alain Platel – entre en scène en paillettes, face à Herma Vos, ancienne meneuse de revue et, entre autres, première des Bluebell Girls du Lido avant de faire carrière dans le cinéma. « Faites entrer les clowns », disent-ils à la fin. « Mais où sont les clowns ? Bon, peut-être l’année prochaine… » Ce serait presque beckettien, si nous n’étions pas en compagnie d’un couple dansant comme dans le souvenir de Cyd Charisse et Fred Astaire. 

Galerie photo © Laurent Philippe 

Comment évolue le corps du danseur, demande Ouramdane. Alors, imaginons : Au lieu de fixer l’image – et donc l’âge – des interprètes sur la pellicule, on tournerait une comédie musicale en numérique, faisant appel à une intelligence artificielle qui ferait vieillir les personnages au fil du temps. Ça donnerait une danse, une rencontre comme ici entre lui, en pleine possession de ses moyens, et elle, à la personnalité rayonnante mais moins à l’aise sur ses talons. Une belle réflexion sur la vie, une petite forme (15 min) pleine de charme et de sagesse. 

Rêves éteints, rêves éternels

Angelin Preljocaj, lui, crée une revue d’un autre type, à la fois personnelle et collective, faites des rêves éteints par l’histoire et d’autres qui ne s’éteindront jamais. Les huit performers apparaissent d’abord dans des costumes divers, expressifs et de différentes époques, de vaguement élisabéthain au contemporain, de baroque à rock’n’roll. D’emblée, ce mélange relativise Chronos et valorise les individus, de Thierry Parmentier qui est passé par Béjart à la chanteuse Eli Medeiros qui reprend un tube de son groupe punk d’antan Stinky Toys, de Bruce Taylor qui a dansé chez Alvin Ailey à l’acteur Roberto Maria Macchi ou Mario Berzaghi qui a consacré sa vie et son corps au Kathakali et au Kalaripayatt, les pratiques corporelles sont des plus diverses. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Une grande partie des interprètes est par ailleurs italienne, le projet étant parti d’une initiative de la Fondazione Nazionale delle Danza et la compagnie Aterballetto. Les auditions à Paris, Aix-en-Provence et en Italie ont reçu 300 candidatures, ce qui prouve que les interprètes eux-mêmes ne considèrent pas qu’un âge avancé empêche de mener à bien une création chorégraphique. Et ils sont prêts à mettre en valeur l’esprit collectif, en partageant leurs souvenirs. Quand on entend Simone de Beauvoir sur le rôle des seniors dans la société et faire l’éloge des maisons de retraite en URSS, tous reviennent en bleu de travail et le poing serré, sur fond de chœurs soviétiques, dans un unisson incarnant un idéal révolu. 

Transcendance

Le rêve d’amour et de douceur, lui, ne connaît ni âge ni époque, exactement comme la danse. Au contraire, voir ces septuagénaires caresser l’autre, s’élever comme en apesanteur ou flirter avec Balanchine ouvre la voie vers une compréhension profonde. Pourquoi danse-t-on ? Pourquoi aime-t-on ? Débarrassés de tout souci du paraître, gestes et sentiments apparaissent de la façon la plus pure et distillée, en phénomènes essentiels qui n’ont plus besoin de prouver quoi que ce soit. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Les corps aussi sont libres et les lumières d’Eric Soyer peuvent rendre la chair doucement incandescente, dans une transcendance qui rappelle les corps lumineux de Sankai Juku. Aussi Birthday Party rappelle les vrais enjeux du corps dansant au-delà de son âge ou de ses âges qui peuvent, selon Angelin Preljocaj être l’âge biologique ou l’âge ressenti ou bien « l’âge que les autres lui donnent ». Dans Birthday Party, l’âge est celui donné par la danse. 

Thomas Hahn

Vu le 22 février 2023

A revoir à Aix-en-Provence, Pavillon Noir du 2 au 4 mars 2023
Bologne (IT), Arena del Sole, le 12 mars 2023

Un jour nouveau

Chorégraphie Rachid Ouramdane

Musique Jean-Baptiste Julien
Musiques additionnelles Sam Cooke (Everybody loves to Cha Cha Cha), Stephen Sondheim (paroles de Send in the Clowns)
Lumières Stéphane Graillot
Assistante artistique Mayalen Otondo
Avec Darryl E. Woods and Herma Vos

Birthday party

Chorégraphie Angelin Preljocaj
Lumières Eric Soyer
Costumes Eleonora Peronetti
Assistantes répétitrices Claudia De Smet, Macha Daudel
Musique 79D
Musiques additionnelles Anton Bruckner, Józef Plawiński, Paul Williams, Lee Hazlewood, Jean-Sébastien Bach, Maxime Loaëc, Craig Armstrong, Stinky Toys
Avec Mario Barzaghi, Sabina Cesaroni, Patricia Dedieu, Roberto Maria Macchi, Elli Medeiros, Thierry Parmentier, Marie-Thérèse Priou, Bruce Taylor

Catégories: