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« Onironauta de Tânia Carvalho

Tânia Carvalho, une des chorégraphes portugaises les plus fascinantes de sa génération, nous entraîne dans un voyage au pays des rêves.

L’Onironaute, est celui qui a la capacité de naviguer dans ses rêves afin d’en modifier l’issue, élaborant d’autres univers d’images à déchiffrer. Tânia Carvalho est sans doute l’une d’entre eux. Avec sept danseurs comme autant de jours de la Création, elle développe un nouveau monde surréaliste, tissé d’autant de fils que de rêves mal éteints, émergeant d’une nuit entre lumières et ténèbres. Tout commence avec Chopin qu’une créature égrène paisiblement sur l’un des deux pianos qui servent en tout et pour tout de décor. Chevelue et barbue, sa silhouette longiligne qu’accentue sa robe à traîne donne à l’ensemble un parfum vaguement désuet indiquant, au choix, la jeune fille de bonne maison ou la tapeuse de cours de danse. La suite nous oriente plutôt vers cette deuxième option car surgit sur le plateau un être visiblement en proie à un rêve terrible qui, tout en se tordant au sol, se débat dans ses entrechats.

Galerie photo Laurent Philippe

Bientôt, il sera rejoint par ses six congénères, tandis que Tânia Carvalho s’installe au piano pour jouer une de ses compositions frappantes. Au propre comme au figuré.

Cette petite bande est des plus disparates. Toutes les anatomies y sont représentées, mais toutes sont frappées d’une étrangeté soigneusement calculée, qui tient tout autant à la bizarrerie gestuelle qu’aux grimaces et grimages des interprètes qui les font tout autant apparaître comme des morts-vivants ou des créatures de Frankenstein. Et la chorégraphie elle-même a tout du monstre, comme lui, elle est faite de bric et de broc, de morceaux et d’affûtiaux, bref de toutes sortes d’opus qui peinent à faire corpus.

Galerie photo Laurent Philippe

On y retrouve pêle-mêle beaucoup de vocabulaire classique, mais aussi quelques bribes de Cunningham, une image de l’Après-midi d’un Faune, beaucoup d’objets chorégraphiques non identifiés, et des mouvements désordonnés et mal dansés, qui évoquent l’image de corps démantibulés, incertains plutôt que souverains, souffreteux plutôt que glorieux. Et pourtant quel panache dans cette armée de bras cassés aux gestes heurtés qui oscille entre burlesque et carnavalesque dans une danse un peu macabre et ravageuse. Et pendant que Tânia Carvalho fait entendre des plaintes suraiguës et surréelles, nous entraînant dans son songe maléfique et humoristique, la danse se fait et se défait sous nos yeux.

Galerie photo Laurent Philippe

Comme Marlene Monteiro Freitas avec laquelle elle avait créé le Collectif Bomba Suicida, il y a chez Carvalho la volonté de faire éclater les codes et les limites, d’en découdre avec la chorégraphie, dans une fête grimaçante, sans rien céder sur la rigueur de l’écriture. C’est drôle et angoissant à la fois, un peu macabre, et 100% délirant.

On regrettera juste la scène un peu juste (ça prend de la place deux pianos, même tête bêche !) et une certaine immobilité dans la progression dramaturgique.

Reste que ce ballet révèle une sorte de danse fantôme, négatif d’un rêve chorégraphique non réalisé.

Agnès Izrine

Vu le 17 février 2023, Le Carreau du Temple, Festival Faits d’Hiver et Festival Everybody

 

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