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Allemagne : La carrière de Marco Goecke compromise
Nom d’un chien ! Le directeur du ballet de Hanovre crée un invraisemblable scandale en s’en prenant à une journaliste.
Chienne de critique ! Pas de guillemets à cette exclamation, car ce n’est pas en ces termes que le chorégraphe Marco Goecke a affronté, sur un mode indigne, une célèbre critique de danse à l’entracte de son spectacle Glaube – Liebe – Hoffnung (comme le titre de la pièce de théâtre d’Ödon von Horvath : La foi, l’amour, l’espérance). L’interpellant et l’attaquant d’abord verbalement, il sort ensuite, selon la victime et les témoignages, un sachet en papier contenant des excréments de chien et en barbouille le visage de la journaliste qui se met à hurler. Goecke s’en va. Avec son chien. On n’est pourtant ni dans une comédie ni dans un film à la Black Swan mais dans le réel, au Staatstheater de Hanovre!
Dès le lendemain, le dégoûtant et inqualifiable acte du chorégraphe est dans tous les journaux. Le scandale est énorme, et lundi 13 février la direction de l’opéra annonce que Goecke est suspendu de ses fonctions et interdit d’accès au Staatstheater. On attend la suite. Mais il semble difficilement imaginable que le chorégraphe, pourtant l’un des plus doués d’outre-Rhin, puisse poursuivre sa carrière dans cette maison ou diriger une autre compagnie institutionnelle, d’autant plus que dans un premier temps il continua ses diatribes verbales dans les médias sociaux, non contre la journaliste mais en s’en prenant aux internautes osant critiquer son attaque à la crotte.
La critique en mode pitbull
Sa victime n’est autre que la critique de danse Wiebke Hüster du quotidien Frankfurter Allgemeine (FAZ), une institution dans le pays (elle-même autant que le journal) qui n’a en effet pas la réputation d’être tendre avec les chorégraphes qui ont le malheur de croiser sa plume. En l’occurrence elle venait juste de descendre avec des mots assez crus la création de Goecke pour le Nederlands Dans Theater (NDT) à La Haye, In the Dutch Mountains. Attention professionnelle pour un chorégraphe « à suivre » ou esprit de persécution ? Goecke plaide l’acharnement contre sa personne, mais soutient en même temps que « 99% des chorégraphes allemands n’en peuvent plus de ses articles ». Ce qui est peut-être sa remarque la plus juste liée à cette affaire. Il est vrai qu’un Raimund Hoghe pouvait aussi faire part de son exaspération personnelle à l’égard de la journaliste. Mais jamais il n’aurait agressé ni humilié quiconque.
Condamné dans les termes les plus stricts par la fédération allemande des journalistes, l’acte de Goecke pose des questions fondamentales quant à la liberté d’expression, l’état du vivre-ensemble et le rôle de la presse dans une ambiance où les journalistes sont de plus en plus pris pour cibles par les adeptes de théories de complot. La question, très débattue, à savoir si Goecke avait agi spontanément (ce qu’il soutient) ou avec préméditation (c’est l’impression de la journaliste) est finalement secondaire. Dans un cas comme dans l’autre, force est de constater que la violence verbale qui sévit sur les réseaux sociaux innerve le comportement physique et l’état mental des convives, en général et vis-à-vis de la presse en particulier. Emporté par ce contexte, Marco Goecke s’est embourbé dans sa théorie du complot personnelle, avec un résultat désastreux.
Une vie de chien ?
En tant qu’artiste, il tombe de haut. Pour rappel, Goecke, depuis longtemps sollicité à travers le monde comme chorégraphe invité, a créé Whiteout en 2008, Le Spectre de la Rose en 2009 et Sigh en 2014 pour les Ballets de Monte Carlo et en 2019 une pièce au titre confondant pour le Ballet de l’Opéra de Paris : Dogs Sleep. Où il s’interroge sur les rêves de son teckel nommé Gustav et envoie dans le brouillard scénique une meute de cerbères humains. Wiebke Hüster signale, dans son pamphlet contre In the Dutch Mountains une bande son dans laquelle on entend (entre autres) aboyer des chiens et décrit « des bras collés aux corps comme des queues de chiens coincées sous le corps ». Mais elle en parle positivement ! Qu’il y ait de l’animalité dans les pièces de Goecke ne fait pas de doute. Mais à l’avenir on verra d’un autre œil son style si frénétique : non le contrôle et son travail détaillé mais la fébrilité et la nervosité.
Même si on voulait admettre que Goecke avait raison en dénonçant un acharnement de Hüster face à ses créations – depuis vingt ans comme il le clame – la journaliste n’avait en rien réussi à entraver la carrière du chorégraphe. Au contraire, en 2022 il a reçu le Tanzpreis, la plus haute distinction décernée aux personnalités chorégraphiques en Allemagne. C’est Goecke lui-même qui a détruit sa carrière, en quelques secondes face à une journaliste dont il n’avait au fond rien à craindre (sauf quelques crises de nerfs). La réception de son travail était positive, et souvent même enthousiaste. Mis à part celle de Mme Hüster.
L’acte était donc aussi superflu que choquant, marquant à jamais la perception publique du chorégraphe. Qu’il ait ainsi attaqué une femme ajoute l’image d’une personnalité machiste et misogyne. La journaliste a porté plainte et on ne voit pas comment la direction du Staatstheater pourrait le réintégrer. Il n’y a plus le choix. En somme, nous voilà témoins d’un suicide professionnel et artistique de la plus bête facture. « Je suis un peu choqué par moi-même », a-t-il finalement déclaré, sans pouvoir s’empêcher d’ajouter que son œuvre ait été souillée par la journaliste sur la durée. Et il admet : « Le choix des moyens n’était pas super », se déclarant conscient que « la société n’est pas prête à accepter ou respecter » un comportement comme le sien. Est-ce là une vraie déclaration de regrets ? Néanmoins, à Stuttgart, la compagnie Gauthier Dance déclare vouloir poursuivre le compagnonnage entre elle et Goecke, artiste en résidence, au même titre que… Hofesh Shechter ! Eric Gauthier, le chorégraphe directeur de la compagnie aurait-il à son tour été victime des critiques de Hüster ? Seule l’empathie de confrères chorégraphes pourra sauver Goecke de la noyade totale.
Thomas Hahn
Mise à jour du 17 février 2023 : La direction du Staatstheater de Hanovre a licencié Marco Goecke le 16 février.
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