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« EFEU » de Thomas Hauert

Pour commencer l’année en beauté, L’Atelier de Paris présentait la nouvelle création de Thomas Hauert, EFEU, troisième volet d’un triptyque composé de How to Proceed (lire notre critique) et If Only ayant en commun une préoccupation sur l’état du monde. Le verdoyant CDCN (situé en plein Bois de Vincennes) entretient avec le chorégraphe helvète une collaboration de longue date (depuis Accords en 2008), il était donc naturel que la première française y ait lieu.  

Formant une boucle, EFEU commence et finit par deux duos, intervertibles et modulables, comme l’ensemble de la pièce, les interprètes n’ayant pas de partition personnelle et acquise. Chaque soir peut donc livrer une combinaison différente, aussi bien dans la distribution (ils sont six pour un quartet), que dans la chorégraphie composée en grande partie d’improvisations. 

Ambiance Dolce Vita pour le premier duo dansé sur Senza fine, tube italien sentimental et glamour ayant suscité un nombre colossal de versions, composé par Gino Paoli pour Ornella Vanoni au début des années 60. Il évoque une époque encore insouciante, marquée par les Trente Glorieuses, et peu préoccupée par l’écologie malgré la naissance d’une prise de conscience publique certaine. Plutôt joyeux, fluide et précis, ce « pas de deux », tout comme son jumeau de clôture envoie une bonne dose de plaisir et d’énergie. 

S’ensuit un embarquement immédiat pour une traversée sensorielle et contemplative. Sur le plateau recouvert d’un tapis blanc posé comme une légère feuille de papier aux coins retroussés, comme prêt à s’envoler et donc à disparaître, les danseurs incarnent ensemble ou alternativement une nature sublimée par le corps. Ils sont état et matière. Entre eux se tisse une danse organique, sensitive et abstraite où les images ont libre cours, plante qui rampe tel le lierre (efeu en allemand, apprend-on), caillou qui crépite ou encore amas magmatique de corps aux extrémités réactives. Le temps parfois étiré invite le spectateur à entrer en observation avec une certaine patience, comme en attente d’un déploiement possible, d’une éclosion probable … 

Galerie photo © Bart Grietens
 

La bande son composée par Eric Thielemans est finement élaborée, chants d’oiseaux alpins recueillis par l’ornithologue bio-acousticien Jean C. Roché, cordes  glissées, frottées et percusives de Polymorphia de Krzystsztof Pendereckielle séquence également le temps avec 48 responses to Polymorphia de Jonny Greenwood, qui surgit par intermittence comme une onde puissante. Portés, presque par moments soulevés par le souffle sonore et musical, les danseurs s’y propulsent comme le surfeur prend la vague, dans un accord parfait, un état de flow. Dans leur grande liberté de mouvements, les quatre interprètes, pourtant virtuoses, évitent toute prouesse. 

Refermant ce formidable troisième volet, le certes groovy, mais déchirant constat écologique Mercy Mercy me (Ecology) de Marvin Gaye, nous ramène au cœur du sujet. Ecrit en 1970, le morceau parle de la dégradation de l’environnement, de la pollution, des radiations et des agressions de l’homme envers la planète. What about this overcrowded land, how much more abuse from man can she stand ? (Qu’en est-il de cette terre surpeuplée, combien d’agressions de l’homme peut-elle encore supporter ?). 

Sans être ostentatoirement militant, EFEU plaide pour l’environnement et l’état d’un monde endommagé, dans un hommage physique et vibrant à la nature. Nul besoin de discours didactique ou d’images appuyées, le corps parle amplement et emmène le spectateur dans un tourbillon d’émotions et de sensations. Au point d’être pris d’une irrépressible envie de se laisser emporter par la danse. 

Marjolaine Zurfluh

Vu le 12 janvier 2023 à l’Atelier de Paris-CDCN 

Conception : Thomas Hauert
Interprétation : Fabian Barba, Sarah Ludi, Federica Pomelo, Thomas Hauert
Composition musicale : Eric Thielemans
Création lumière : Bert Van Dijck
Régie son : Bart Celis
Costumes : Chevalier-Masson
Scénographie : Chevalier-Masson
 

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