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Une nouvelle Giselle au Ballet du Rhin
Cette nouvelle production du Ballet de l’Opéra national du Rhin nous fait découvrir une Giselle d’aujourd’hui, en prise avec des problématiques actuelles. Confiée au chorégraphe Martin Chaix, cette nouvelle version mixe avec subtilité langage classique et relecture contemporaine.
Qui, dans le monde de la danse, ne connaît pas l’histoire de Giselle, cette jeune fille qui aimait trop danser ?
Un ballet du XIXe siècle
Pour résumer cette histoire : Giselle est une jeune paysanne au cœur fragile qui aime trop danser, ce qui sa mère juge dangereux pour elle. Promise à Hilarion, elle se laisse séduire par Loys. Ce dernier, démasqué par Hilarion, se révèle être le Prince Albrecht, promis à la Princesse Bathilde. Devant l’évidence, Giselle devient folle et meurt… d’une crise cardiaque (ou quelque chose comme ça). Au 2e acte, Giselle, morte, est accueillie par les Wilis, des jeunes filles mortes avant le jour de leurs noces pour avoir trop dansé (elles aussi !). En général, elles capturent les hommes qui passent et les forcent à danser jusqu’à la mort… Hilarion s’aventure, il meurt. Albrecht également, Giselle le sauve.
Créée à Paris en 1841 d'après un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Théophile Gautier, chorégraphié par Jules Perrot et, dans une moindre mesure, Jean Coralli, Giselle est devenu au fil des décennies un classique incontournable du répertoire romantique.
Mais surtout, Giselle porte la trace de son époque.
Le romantisme français développe une nouvelle perception de l’individu où l’expansion du moi n’a d’égale que l’insatisfaction du présent, créant un mythe de l’idéal dans ce qu’il a de plus personnel : le souvenir, l’amour, le désir d’infini. Les romantiques, êtres insatiables et déchirés, se placent dans un schisme existentiel de l’individu, dans le dilemme tout nouveau du pur et de l’impur. D’un côté une union d’âme à âme, une communion frigide et transparente. De l’autre, la sensation littérale et frénétique, la pure technique sensuelle. Ce que Musset nommera la débauche et, dans la littérature, la femme devient ange éthéré ou belle impitoyable.
Le ballet romantique va se saisir de cette nouvelle liturgie qui présente à l’homme une image idéale de lui-même et de ses états d’âme incarnés en femme. « Vêtu de probité candide et de lin blanc » comme le souligne Hugo. Il ne s’agit en aucun cas d’une revalorisation du corps féminin ou du statut de la femme mais d’un fantasme masculin : l’impondérabilité lui donne l’illusion d’être un pur esprit sensible et immortel : une sainte flamme. La tempête des émotions devient leur credo et la folie, leur thème de prédilection.
Un chorégraphe engagé
Martin Chaix, qui a traversé Giselle en tant que danseur du corps de Ballet, et dans le rôle d’Hilarion, s’interroge très vite : « le traitement du rôle de Giselle, fille naïve au premier acte et trop vite magnanime au deuxième, et surtout le sort d’Albrecht, ne sortant que trop peu égratigné de ses actes de tricheries envers Giselle et de tromperie envers Bathilde, me troublaient quelque peu.» Le chorégraphe international formé à toutes sortes d’écritures, des plus classiques aux plus modernes continue « Peut-être était-ce le fait d’avoir eu la chance de danser dans la version moderne de Mats Ek ̶ qui à l’époque m’avait fait grande impression, et m’avait montré qu’une autre lecture était possible ̶ mais j’avais en tête que cette histoire originale n’aurait plus lieu d’être en ce début du XXIème siècle si l’on devait un jour créer une nouvelle version. »
Ce désir de raconter ce récit différemment fait son chemin dans l’esprit de Martin Chaix, d’autant qu’il lit l’ouvrage de Marian Smith (Ballet and Opera in the Age of Giselle) paru en 2000. Ensuite, bien sûr, le mouvement MeToo, tout comme les mouvements féministes bouleversent notre société et plaident pour une relecture de Giselle plus en phase avec son temps, qu’il s’agisse d’enjeux sociétaux ou féminsites. Notamment, nous dit Martin Chaix « en 2018, lors de la cérémonie des Golden Globes aux États-Unis, toutes les actrices présentes portaient du noir ̶ mouvement alors appelé #TimesUp ̶ en signe de protestation envers Harvey Weinstein qui à l’époque venait juste d’être accusé d’agressions sexuelles envers des actrices. Ce tableau de femmes vêtues de noir a été pour moi un parallèle saisissant avec l’acte blanc de Giselle et ses Wilis toutes vêtues de blanc. ». Enfin, la rencontre avec Bruno Bouché et le Ballet de l’Opéra national du Rhin qui partagent ce désir de donner des lectures plus contemporaines du ballet classique est déterminante.
La version du Ballet de l’Opéra national du Rhin
Dans cette nouvelle version de Giselle signée Martin Chaix, le point de vue a été déplacé. Au lieu d’une vision masculine, fondée sur « l’androcentrisme », et qui régit nos rapports sociétaux, amoureux et même corporels, le chorégraphe choisit de privilégier la parole féminine afin de lui donner toute sa place. Toute l’histoire s’en trouve, bien entendu, modifiée. Tout comme les costumes et les décors qui doivent, désormais, refléter notre monde d’aujourd’hui, tout en gardant la tension sociale entre milieux (très) favorisés et population pauvre.
Ainsi, le décor du premier acte se place dans un passage souterrain, point de jonction et de brassage de la population. Le deuxième acte, se déroulant originellement dans la forêt mystique des Wilis, devient un parc urbain, où la lumière crue des lampadaires éclaire les tourments des protagonistes. De même pour les costumes de travail du premier acte qui traduisent une société dystopique et plutôt anxiogène, tandis que Myrtha et les Wilis toutes vêtues de noir, forment une sorte de bande de « blousons noirs » d’aujourd’hui.
Galerie photo © Agathe Poupeney
Enfin, la musique d’Adolphe Adam elle-même sera revisitée. Car pour Martin Chaix il était évident « que la musique d’Adolphe Adam, pour des raisons dramaturgiques et aussi de goûts, ne me satisfaisait pas entièrement. Mes recherches se sont portées sur les compositrices contemporaines d’Adam, et l’une d’entre elles m’est apparue comme une évidence. Il s’agit de Louise Farrenc (1804-75), compositrice, professeure au Conservatoire de Paris, pianiste et historienne de la musique. Elle a été une compositrice et pianiste célébrée en son temps, puis oubliée à sa mort. En ce début du XXIe siècle, certainement grâce à l’impulsion des mouvements féministes, son talent et son histoire. ont été remis en lumière. »
Les Symphonies N°1 et 3 de Louise Farrenc viendront donc s’immiscer dans la musique de cette nouvelle Giselle, ambitieuse et iconoclaste, qui trace de nouveaux chemins permettant de répondre aux interrogations qui agitent le monde du ballet quant aux représentations souvent obsolètes de figures féminines ou de personnages surannés.
Nous attendons donc avec impatience cette version de Martin Chaix pour le Ballet de l'Opéra national du Rhin, résolument contemporaine et en prise avec des problématiques actuelles.
Agnès Izrine
Du 14 janvier au 5 février 2023.
DATES
Opéra STRASBOURG - Sam. 14 janv. 20h / Dim. 15 janv. 15h / Mar. 17 janv. 20h / Mer. 18 janv. 20h / Jeu. 19 janv. 20h / Ven. 20 janv. 20h
La Sinne MULHOUSE - Jeu. 26 janv. 20h / Ven. 27 janv. 20h / Dim. 29 janv. 15h / Lun. 30 janv. 20h / Mar. 31 janv. 20h
Théâtre municipal COLMAR - Dim. 5 févr. 20h
GISELLE : Chorégraphie : Martin Chaix
Musique : Adolphe Adam, Louise Farrenc
Direction musicale : Sora Elisabeth Lee
Dramaturgie : Martin Chaix, Ulrike Wörner von Faßmann
Dramaturgie musicale : Martin Chaix
Décors : Thomas Mika Costumes : Catherine Voeffray
Lumières : Tom Klefstad
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