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« Kôsa – Entre deux miroirs » de Sankai Juku
Sankai pour tous : La nouvelle création d’Ushio Amagatsu, comme sur mesure pour le Pavillon Noir.
A Aix-en-Provence, sur le plateau du Centre Chorégraphique National dirigé par Angelin Preljocaj, l’effet de loupe est saisissant. Six danseurs de Sankai Juku, et eux seuls face au public. Rien pour leur livrer concurrence visuelle : Ni scénographie ni effet d’immensité cosmique. Six butoka japonais, hommes aux corps et aux visages grimés de blanc arborent ici encore moins d’éléments de couleur que dans les grandes mises en scène d’Amagatsu. La compagnie en annonce par ailleurs une nouvelle qui verra le jour en 2023. « Amagatsu n’a pas dit son dernier mot », prévient sa productrice. Mais pour l’instant, le fondateur de la troupe historique s’éclipse, pour des raisons personnelles. Aussi il n’a pu faire le voyage pour la tournée de Kôsa – Entre deux miroirs qui a débuté en Europe et se poursuit en Amérique latine : Mexique, Colombie, Brésil…
Spectacle initiatique
Et ce sont les théâtres de ces pays qui ont incité Amagatsu à leur proposer une pièce plus facile à faire traverser les océans car le transport d’une scénographie peut coûter cher. En Europe, la formule d’un Sankai Juku light permet aussi à des salles à jauge moyenne de faire connaître l’univers de cette compagnie pionnière à leurs spectateurs. En ce sens, Kôsa – Entre deux miroirs offre aux novices une belle entrée en matière, une initiation à une danse qui renvoie aux origines de l‘univers. Les autres, qui ont l’habitude de fréquenter le butô cosmique et au fond plus bouddhique qu’animiste d’Amagatsu, ne refuseront pas l’invitation à approcher de plus près ces êtres subtilement étranges. Ces messagers transcendantaux trouvent ici une formidable autonomie au lieu de faire partie d’une composition visuelle générale.
Kôsa est une pièce composite, construite à partir de tableaux puisés dans le répertoire de la compagnie pour être remontés, agencés et nouvellement mis en scène. On y retrouve les jupons orange et le cercle de sable de Tobari et ceux de Meguri, bleu et beige, ainsi que les costumes opulents, comme couverts d’argile, de Kagemi. Rien de sorcier cependant, si Amagatsu réussit parfaitement à réunir ces éléments pour créer comme une nouvelle pièce où le céleste et le tellurique, le minéral et le végétal font la paix avec le cycle du temps. Ce qui n’exclut pas quelques scènes de rire sarcastique et d’états guerriers.
Liés par des solos, les tableaux de groupe se suivent comme des planètes, où tout tourne autour d’un roi-soleil. A la création des pièces en question, ce maître et centre de l’univers n’était autre qu’Amagatsu, le fondateur. Comme il ne danse plus depuis quelques années déjà, ses rôles sont ici répartis sur plusieurs danseurs, à chaque fois entourés par le groupe. C’est le privilège des plus anciens, qui sont au nombre de trois : Akihito Ichihara, Dai Matsuoka et Norihito Ishii. A leurs côtés, de très jeunes interprètes, nouvellement arrivés dans la compagnie, confirmant au passage que le butô n’est pas mort au Japon.
Végétal, symétrique, baroque…
C’est le lot de cette petite forme de Sankai Juku que de procéder par une alternance entre groupes et solos aussi immuable que l’ordre cosmique et de travailler assez peu sur l’espace. Le lien qui s’établit avec le spectateur n’en est que plus direct, sans passer par des signes extérieurs. Aussi les éléments de couleur qui font habituellement exploser la blancheur rituelle se font ici plus discrets que d’habitude, face au noir de la cage de scène. On retient surtout les petits traits rouges et noirs que les danseurs dessinent sur leurs corps et visages dans le 3e tableau (Dialogue infini, issu de Kagemi), laissant soupçonner une part sauvage, voire diabolique et pour le moins facétieuse. Mais les grimaces sont rares dans Kôsa, ce cycle d’images se définissant plutôt par des ensembles évoquant floraison, branches ou autres images végétales.
Avec ses tableaux aussi différents qu’harmonieux, Kôsa part de symétries chorégraphiques et crée des liens avec l’art baroque. Entre deux miroirs : l’ajout au titre évoque à lui seul cette symétrie chère à l’art du XVIIe en Europe et il n’est pas interdit d’imaginer Kôsa se glissant en toute harmonie dans un opéra de Lully. Mais il s’agit surtout d’un format qui permet à la myriade des salles de taille moyenne d’inviter l’univers de Sankai Juku, trop longtemps réservé aux centres gravitationnels du paysage scénique. Kôsa est donc un vrai acte d’harmonisation, qui s’exprime autant sur le plateau, par la structure de la pièce et dans l’état transitionnel des corps poudrés qui appartiennent autant à l’ici et maintenant qu’à des ailleurs imaginaires.
Thomas Hahn
Vu le 14 octobre 2022, Aix-en-Provence, Pavillon Noir
Direction artistique, chorégraphie : Ushio Amagatsu
Assistant du chorégraphe et directeur technique : Semimaru
Musiques : Takashi Kako, Yas-Kaz, Yoichiro Yoshikaw
Danseurs: Akihito Ichihara, Dai Matsuoka, Norihito Ishii, Taiki Iwamoto, Maokoto Takase, Soutaro Ito
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